Je crois que pour bien accompagner les chiens avec lesquels nous travaillons, il est important de comprendre l’influence que peuvent avoir leur environnement de vie et celui dans lequel ils grandissent. Ces facteurs peuvent nous en dire long sur les apprentissages et les comportements exprimés.
Pour mieux comprendre les petits roumains, de plus en plus nombreux à être adoptés en France, me voilà dans leur pays pour une quinzaine de jours. Mieux connaitre leur vie dans la rue et dans les refuges, ainsi que leur place dans la société Roumaine, peut m’aider à comprendre leur adaptation en milieu familial en France – et les problèmes qui en découlent.
Les chiens dans Bucarest
J’ai passé mon premier jour dans ce pays à arpenter les rues de Bucarest, à la recherche des chiens des rues. En dehors du centre historique, la ville est un enchainement de blocuri (immeubles d’habitation de l’ère communiste) entourés de jolis parcs, de grandes allées d’arbres et de terrains de jeux pour les enfants.
Je croise de nombreux chiens dans la ville, mais ils sont toujours accompagnés d’un humain. Ils sont tenus en laisse et beaucoup d’entre eux portent des manteaux pour les protéger du froid. Les propriétaires de chiens semblent tout particulièrement apprécier les bichons (maltais et frisés). Tout au long de notre séjour, j’en croiserai un très grand nombre. Quoi qu’il en soit, je m’attends à voir une situation différente dans la campagne et ma deuxième journée va le confirmer.
En dehors de Bucarest et dans le refuge d’Alina et Anda
Le lendemain, je me rends à 25 minutes au sud de Bucarest, dans le refuge d’Alina et Anda, mère et fille. Avec l’aide de quelques travailleurs, elles s’occupent de plus de 300 chiens sortis de la rue ou abandonnés. Le trajet jusqu’au refuge présente une autre Roumanie, plus pauvre et délabrée. Sur les routes et dans les villages, on aperçoit de nombreux chiens. Beaucoup d’entre eux sont de type berger. Certains semblent être soignés, d’autres sont très sales et maigres. En général, ils sont sur le bord des routes, allongés ou en mouvement. Parfois, on les aperçoit au loin dans un champ ou dans un terrain vague jonché de détritus. Ils sont rarement plus de deux.
Le contraste entre la ville et la campagne est plutôt saisissant. Les maisons sont souvent gardées par des chiens libres, qui tiennent compagnie aux gens assis devant leurs habitations. Je traverse le village, jusqu’à ce que les aboiements des chiens du refuge deviennent perceptibles. Ils indiquent la direction.
Le refuge d’Alina et Anda
En arrivant sur place, je suis confrontée à un fort contraste. Pour décrire ma première journée dans ce refuge, je dirais que c’était un ascenseur émotionnel. On y côtoie des chiens très sociables qui cherchent constamment l’attention et d’autres qui restent à l’écart, l’air méfiant. Certains se terrent dans leurs cabanes dès qu’on s’approche, d’autres se bagarrent pour un peu d’attention. Des chiots côtoient trop peu l’humain et je ne peux m’empêcher de penser que pour eux, le temps (de la socialisation) est compté… Ils ne sont pas exposés à une grande variété de stimuli et leurs expériences de vie sont limitées. Le plus vite ils peuvent rejoindre une famille d’adoption, le mieux c’est.
On passe du sourire aux larmes ; il y a beaucoup de moments de tendresse mêlés à un sentiment d’impuissance. Impuissance, car on comprend vite que c’est un problème sans fin. Malgré les nombreuses adoptions à l’étranger, le refuge n’a jamais été aussi plein. Les entrées au refuge sont presque quotidiennes, car Alina et Anda ne peuvent pas dire non lorsqu’un animal est en détresse.
Le sentiment d’impuissance vient aussi du fait que toutes les idées et objectifs qu’on apporte avec nous s’écroulent, car on travaille dans l’urgence : le nettoyage, les soins, le nourrissage, l’entretien du refuge, préparer les chiens à l’adoption (vaccins, identification, stérilisation…). On a beau espérer pouvoir mettre en place des programmes de socialisation, d’enrichissement, de désensibilisation et de rééducation, on se rend vite à l’évidence ; il n’y a pas de temps pour ça. C’est à peine si on a le temps de correctement nettoyer le refuge et nourrir tous les animaux. Il n’y a donc pas grand-chose que je peux faire/apporter en tant que comportementaliste, je dois l’accepter.
Des observations passionnantes
Le refuge offre des interactions passionnantes à observer. On peut en apprendre beaucoup sur la communication intra-spécifique, la gestion de l’espace et des ressources, et les systèmes sociaux. D’ailleurs, l’équilibre du refuge tient à rien, particulièrement au sein des groupes de chiens répartis dans les différents enclos. Il y a de nombreux facteurs qui peuvent déclencher un conflit ; le moindre changement, un objet nouveau, une place convoitée, de l’attention de la part d’un humain ou un peu d’excitation. Les conflits sont fréquents et ils sont malheureusement parfois fatals.
Il y a des profils extrêmement différents ; des chiens très craintifs, inapprochables pour certains, et d’autres qui débordent d’amour pour les êtres humains. Certains seront très difficiles à placer, alors que d’autres s’adapteront très facilement à leur nouvelle vie. Cependant, c’est un environnement qui ne facilite pas leur adaptation en milieu familial; ils cotoient peu de personnes, ils sont peu stimulés (ils ne sortent jamais de leur enclos), ils ne voient pas grand chose de nouveau, leur routine est très simple et chaque changement déclenche des réactions disproportionnées.
Quand je tente de faire un lien avec les problèmes comportementaux que je vois le plus chez ces chiens roumains après leur adoption, l’influence que ce mode de vie peut avoir sur leurs comportements est évidente. Réactivité, peur des inconnus, néophobie, agressivité autour des ressources, hyper dépendance à l’humain et les très grandes difficultés d’adaptation que certains de ces chiens peuvent avoir. Cependant, malgré ces expériences, la plupart de ces chiens s’adaptent relativement facilement, même après des années de vie au refuge.
Quoi qu’il en soit, chaque jour passé avec eux dans le refuge confirme une chose : ils ont besoin de contact avec l’humain. Même les craintifs peuvent montrer de la curiosité, approcher doucement quand on ne les regarde pas et observer à distance ce qu’on fait avec les plus sociables. On sent que même pour ceux qui ont des expériences difficiles avec l’humain, le besoin de compagnie est toujours présent.
Voici quelques têtes du refuge d’Alina et Anda. Certains attendent d’être choisis par une famille. Il y a aussi de nombreux chats, généralement là parce qu’ils ont été abandonnés ; ils sont donc très sociables. Si vous aimeriez adopter l’un d’entre eux, visitez la page de l’association partenaire du refuge : https://www.facebook.com/RefugeDeAlinaEtAnda.SabineAdoptionChiensDeRoumanie
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