ELLA ET JUDY: LA DIFFICILE ADAPTATION DE DEUX CHIENNES ROUMAINES


Chiens des rues, Portraits / lundi, mars 27th, 2023
 

Je vais vous parler d’Ella et Judy, qui ont chacune une histoire très différente, mais dont les premiers moments dans leur famille d’adoption sont/furent difficiles. J’emploie deux temps, car l’une a déjà beaucoup évolué et l’autre, qui est arrivée il y a quelques semaines, exprime encore des difficultés.

Parmi tous les chiens roumains qui sont adoptés en France, certains font face à de grosses difficultés d’adaptation. L’une des plus déconcertantes pour les adoptants se caractérise par un chien qui ne sort pas d’une cachette ou d’un couchage. J’ai vu des chiens qui passaient la majeure partie de leur temps dans leur caisse de transport, sous un canapé ou derrière un meuble. Une jeune chienne s’était même réfugiée dans les toilettes, après avoir passé un certain temps cachée sous un canapé d’où elle ne sortait jamais.

Il est difficile de comprendre les causes de ces blocages, surtout qu’ils peuvent s’exprimer de différentes manières. Certains chiens montrent de nombreux signes de peur, alors que d’autres sont plus apathiques. Parfois, ils semblent être plongés dans un état dépressif – comme s’il n’y avait presque plus aucune motivation ou qu’ils n’osaient pas l’exprimer. On peut imaginer que des traumatismes psychologiques et expériences telles que l’enfermement, l’isolement social, ou une grande maltraitance, influencent ces difficultés d’adaptation. Pour d’autres, le manque d’expérience de vie joue certainement un rôle important; ils sont incapables de s’adapter dans une situation nouvelle, sans aucun des repères qu’ils avaient avant.

Ella

Ella est une chienne âgée de 11 ans, qui est arrivée en France il y a quelques semaines. Son passé n’est pas bien connu, mais d’après les informations reçues par son adoptante, elle aurait vécu à l’attache, avant de passer une année dans une fourrière de Bucarest. Autant dire que son bagage de vie est certainement alourdi par des années de résignation, d’ennui, d’isolement, d’inactivité forcée et de méfiance vis à vis de l’humain. On souhaite tellement qu’une chienne avec une telle histoire puisse profiter de ses dernières années; en se promenant, en explorant, en profitant des gratouilles de son adoptante. C’est un peu ce que cette dernière espérait en l’adoptant (et espère encore) et ça se comprend.

Certains individus peuvent s’adapter relativement vite malgré des expériences de vie difficiles, mais d’autres ont besoin de beaucoup de temps. Ella semble plutôt faire partie de la deuxième catégorie. Depuis son arrivée, il y a quelques semaines, elle ne sort presque pas de son panier et mange lorsque sa gardienne est absente. Elle interagit peu avec son adoptante, même quand cette dernière la sollicite doucement.

 
Ella dans son panier
 

Nous n’en sommes donc qu’à la première phase du travail pour l’aider à s’adapter, qui consiste principalement à la sécuriser et à la motiver. La sécuriser, c’est lui montrer qu’on n’est pas une menace, qu’elle a la possibilité de dire ‘non’, qu’elle peut se reposer sereinement, qu’on ne va rien lui imposer. C’est faire preuve d’une grande douceur, de bienveillance et de patience, tout en respectant son espace et son rythme. La motiver, c’est lui donner un peu plus le gout de vivre, en générant un maximum de plaisir, en adaptant l’environnement pour faciliter ses mouvements, en la stimulant tout doucement – on ne force rien, mais on propose.

Les changements sont très lents, mais son regard s’illumine un tout petit peu plus chaque jour et les progrès sont là, même s’ils sont parfois fluctuants. Le rythme de ces changements peut être aussi faible que 5 secondes de plus en dehors du panier chaque jour. C’est tout petit, mais c’est tout de même un progrès! Et un jour, on repensera au blocage initial et on se rendra compte qu’on a sacrément évolué. Comme c’est le cas pour Judy…

Judy

Judy avait environ un an lorsqu’elle est arrivée dans sa nouvelle famille et nous ne connaissons pas son passé avant d’arriver au refuge. C’est une histoire particulièrement touchante pour moi, car j’ai rencontré Judy au refuge d’Alina et Anda en Roumanie et elle a été rapatriée dans le même camion que ma chienne. À vrai dire, je ne me souvenais pas bien de Judy, mais au moment où son adoptante m’a contacté, j’ai retrouvé des vidéos que j’avais filmé au refuge sur lesquelles Judy apparaissait. Ces dernières montraient une chienne énergique, qui cherchait le contact – en la voyant comme ça, on pouvait difficilement imaginer que son adaptation serait si difficile.

 

Judy dans son panier

À son arrivée dans sa nouvelle famille, Judy ne sortait quasiment pas de son panier et cela a duré plusieurs semaines. On se demande comment une jeune chienne, pleine d’énergie, peut tout d’un coup être si inactive. Quel mécanisme psychologique l’empêchait à ce point d’évoluer dans son nouvel environnement de vie?

Pourtant, comme pour Ella, rien dans l’environnement n’était menaçant. Au contraire, ses adoptants ont tenté de la rassurer, avec toute la bienveillance possible. Judy n’osait pas sortir et il y avait peu d’interactions avec ses gardiens. Il a fallu là aussi chercher à comprendre ses motivations, lui donner envie de bouger, l’aider à prendre confiance, respecter ses besoins tout en lui montrant qu’il y avait des expériences intéressantes à vivre en dehors de son panier. Elle acceptait de sortir dans le jardin, mais dès qu’elle retrait dans la maison, elle se réfugiait dans son panier. Elle a commencé à explorer très progressivement, mais ce qui a certainement le plus aidé Judy, c’est le petit garçon de la famille, avec qui elle cherchait à jouer. Chaque cas est différent et chaque chien évolue avec différentes motivations.

Comme beaucoup de chiens qui vivent ce genre de difficultés d’adaptation, Judy n’est pas sortie de ce blocage du jour au lendemain. C’était un processus long. Il y a des moments où on ne voit pas le chien évoluer et on se dit qu’on n’avancera jamais. Il y a des progrès soudains, des retours en arrière, des changements à peine visibles, et on peine parfois à imaginer qu’on pourra un jour avoir un progrès significatif. Et pourtant… Même si Judy reste craintive et manifeste encore quelques difficultés, les photos d’elle, aujourd’hui, montrent bien que c’est possible.

 
Judy aujourd’hui
 

Les bases de l’adaptation

Du point de vue de l’humain, on considère offrir une meilleure vie à notre nouveau protégé; il gagne en confort, l’environnement est plus calme, il est choyé… et pourtant, il reste fermé, apeuré, prostré ou paniqué dans certains cas. C’est déconcertant et parfois difficile à accepter.

Il y aurait tant de choses à dire, mais je vais limiter les conseils à l’essentiel. Ce qui me parait le plus important, c’est de comprendre qu’il faut généralement du temps pour que ces chiens prennent confiance, pour qu’ils retrouvent le gout de vivre et pour qu’ils s’apaisent. Un chien ne se remet pas d’un traumatisme en quelques jours, parce que quelqu’un lui offre un toit et de l’affection. Il ne peut pas soudainement faire confiance à l’humain, après des années d’évitement, de méfiance et de peur. Bon nombre de ces chiens n’ont jamais connu un tel environnement; même s’il présente des caractéristiques rassurantes pour nous, ce n’est pas forcément le cas pour eux. Certains n’ont presque rien connu en dehors de leur box dans un refuge ou une fourrière. D’autres sont brisés, totalement perdus et apeurés. Une fois qu’on comprend bien cela, on peut plus facilement les aider. C’est un bon moyen de faire la paix avec nos attentes.

Ensuite, l’objectif qui est certainement le plus important est d’améliorer leur bien-être dans le présent, car nous en sommes responsables. Laisser le temps faire est une chose, mais les sécuriser facilitera grandement leur adaptation. Il ne faut pas les forcer, ce qui ne les mettrait pas en confiance, au contraire. Il peut arriver qu’en cherchant à les rassurer, on les pousse un peu plus dans leurs retranchements, et il faut donc s’adapter à eux en prenant en compte leur vécu. La communication est au cœur de ce travail; l’écouter, lui montrer qu’il peut dire non, savoir doser les interactions et exprimer de l’apaisement. En somme, le temps et la bienveillance, le respect et l’écoute, la patience et l’acceptation, seront généralement nécessaires pour les aider.

 


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