Cet été, j’ai voyagé au Panama, un petit pays d’Amérique latine connu pour son fameux canal qui permet aux bateaux de passer de la mer des Caraïbes à l’océan Pacifique sans passer par le Cap Horn. Durant ces quelques semaines, j’ai observé avec grand intérêt la vie des chiens du pays. Je vais partager ces observations et certaines des réflexions qu’elles ont générées dans les prochains articles. Ce premier article vous présente un petit village des Caraïbes et ses chiens ‘communautaires’. Un prochain article traitera des indigènes Ngöbe-Buglé et leurs chiens.
Le village d’Old Bank
Je vous emmène dans un petit village côtier qui se trouve sur une île luxuriante en mer des caraïbes ; il y a de magnifiques plages isolées où nichent des tortues marines, une jungle dense et la mangrove entoure une grande partie de l’île. Aucun véhicule ne circule dans les villages et les habitants se déplacent sur les autres îles ou vers le continent avec des pirogues à moteur.
Old Bank est traversé par une étroite allée piétonne bordée de maisons en bois colorées. Sa population est majoritairement composée d’Antillais d’origine Jamaïcaine, d’où le nom anglophone du village, qui se sont installés dans la région il y a plusieurs décennies pour travailler dans les plantations de bananes. Il y a également une petite communauté Ngöbe-Buglé, le groupe indigène le plus important du Panama.
Les maisons du village sont très proches les unes des autres et n’ont pour la plupart pas de fenêtres. Chacune a un porche qui donne sur l’allée centrale. À toute heure de la journée, il y a des gens regroupés et des enfants qui jouent dans les ruelles. Les maisons sont petites et abritent généralement des familles nombreuses. Il y a peu de place pour l’intimité, mais les gens semblent s’en accomoder.
Les chiens du village
Il y a également une petite faune qui circule librement, assez habituelle dans les villages : de nombreuses poules et leurs poussins, des coqs, des chats, ainsi que des chiens. Parmi ces derniers, tous ne vivent pas de la même manière. Il y a les chiens ‘restreints’, qui sont attachés sous les maisons, dans les jardins ou enfermés dans les porches. Beaucoup sont de type Pitbull, mais certains ont la même morphologie que les chiens des rues. Ils sont parfois promenés en laisse, cependant, je les ai rarement vu seuls et lâchés. Pour ces chiens, l’affiliation avec les humains est évidente ; ils ont un ‘propriétaire’, qui les sécurise et qui a fait le choix de vivre avec, même si le degré de soins varie certainement en fonction des moyens financiers de ce dernier.
Les autres chiens ne sont pas restreints, mais ils sont généralement toujours au même endroit. C’est quelque chose que j’ai observé chez les chiens des rues des villes et villages où j’ai eu l’occasion de passer un certain temps. Ils sont libres d’aller où ils le souhaitent, ce qu’on considère comme un critère important de bien-être, néanmoins, ils ne se déplacent généralement pas beaucoup. Lorsque je vivais en Grèce, mes collègues et moi faisions référence aux chiens du village en fonction de leur lieu de vie ; par exemple, les chiens du mini-market, les chiens de la ‘taverna’ ou le chien de la grande maison jaune. On savait tout de suite de quel(s) chien(s) on parlait.
Cela pose plusieurs questions et notamment; à quel point sont-ils réellement libres de leurs choix ? Les contraintes environnementales ne leur imposent-elles pas de rester au même endroit ? Pour défendre un territoire, protéger une source de nourriture, parce qu’il y a une affiliation avec un humain et/ou par peur de perdre des ressources ? Peut-être n’ont-ils pas besoin de se déplacer, s’ils peuvent répondre à leurs besoins fondamentaux à un seul endroit ?
Je n’ai pas de réponse, mais j’ai souvent observé des chiens refuser de s’éloigner de ‘leur zone’, même lorsqu’on les encourage joyeusement et qu’ils semblent avoir très envie de nous suivre. Dans le village d’Old Bank, je suppose que les chiens restent près des maisons parce qu’ils attendent les restes de nourriture jetés par les fenêtres ou devant la maison, ce que j’ai vu se produire à plusieurs reprises. Ils ont peut-être aussi un espace sécurisé, un territoire bien à eux, ce qui limite les conflits avec d’autres chiens : chacun reste ‘à sa place’.
Cependant, chaque chien libre du village est différent et il est difficile de tirer des conclusions. Certains semblent être plus soignés que d’autres, ce qui est surtout visible à leur corpulence et l’état de leur pelage. Certains sont très maigres alors que d’autres sont en surpoids. Certains portent un collier, d’autres non. Certains sont appelés avec un nom et d’autres semblent totalement ignorés…
Les chiens et les humains
La nature des relations avec l’humain n’est pas aussi évidente que pour les chiens restreints. Beaucoup vivent autour d’une maison, d’où ils ne sont pas chassés puisqu’ils y sont tous les jours. Les enfants jouent avec eux, les adultes qui mangent dans la rue leur balancent souvent des morceaux de nourriture et on les laisse dormir sous la maison, sur l’escalier qui mène au porche ou devant la porte. Plusieurs études dans des communautés similaires à travers le monde, ont indiqué que les gens percoivent des bénéfices dans le fait de laisser les chiens vivre près d’eux; gardiennage, compagnons de jeu pour les enfants, protection des animaux de ferme, chasse d’animaux ‘nuisibles’ (rats, serpents…) et compagnie. Au delà de ces bénéfices, l’habitude culturelle y est très certainement pour quelque chose. Les chiens sont là et cela a toujours été ainsi.
Les chiens dans les rues du village sont généralement sociables. Ils ne fuient pas à l’approche des humains, les plus jeunes initient souvent des parties de jeu ou cherchent une forme de contact. Les adultes sont plus ‘réservés’ mais s’approchent, comme s’ils voulaient recevoir quelque chose. De la nourriture peut-être?
Dans d’autres coins du monde, il est très difficile d’approcher les chiens des rues, car ils maintiennent toujours quelques mètres de distance et qui expriment de la crainte. Il peut y avoir plusieurs facteurs qui influencent ces différences et le tourisme en fait partie. Dans les zones touristiques, les chiens ont généralement plus de contacts avec les gens et sont plus sociables. Une étude a d’ailleurs montré une différence entre deux villages cotiers mexicains, l’un est surtout agricole et l’autre plus touristique. Il n’est pas étonnant qu’avec des millénaires de coévolution, l’humain, ses attitudes, sa culture et ses croyances, influencent significativement le comportement du chien.
Une communauté avant tout
Il y a plusieurs appelations pour décrire les chiens non-accompagnés d’un humain qui errent dans les rues de certains pays. Chiens des rues, chiens de village, chiens communautaires, chien paria, sont des termes qui nous donnent quelques informations sur leur mode de vie. Néanmoins, ce sont des termes généralistes (ils servent à cela) qui ne prennent pas en compte la diversité des populations canines. Cela peut être problématique, puisqu’au sein d’une population ou d’une catégorie, il peut y avoir de grandes variations. Rien que dans un pays, on peut voir des différences de village en village. Un chien des rues peut dormir dans un foyer humain ou dans la rue, être nourri par l’humain ou devoir chercher sa nourriture. Il peut passer quelques heures par jour dans la rue ou y vivre constamment, cotoyer des humains avenants ou vivre comme des parias ou encore, il peut avoir un gardien comme il peut être totalement indépendant. On estime d’ailleurs que beaucoup des chiens des rues dans le monde ont un ‘propriétaire’ ; un concept culturellement différent du nôtre dans beaucoup de pays en developpement. Ce sont des informations qu’on ne peut pas avoir à travers de courtes observations et il est donc parfois difficile de bien comprendre leur mode de vie.
Cette diversité est présente dans la population des chiens du village d’Old Bank. Alors qu’on pourrait penser que tous les chiens qui sont dehors sont traités et vivent de la même manière. C’est pour moi vraiment important de le mentionner, car on parle de plus en plus des chiens des rues, qu’on érige souvent comme modèle en éthologie. L’individualité et les différences culturelles humaines inter alia qui influencent les variations doivent être prises en compte. Les relations avec l’humain sont bien plus complexes qu’elles paraissent et elles représentent un facteur de variation environnementale significatif. Ce qui fait qu’étudier ces relations, comprendre comment les gens traitent et perçoivent les chiens, et comprendre comment ces rapports influencent les modes de vie des chiens, sont nécessaires à l’étude et à la compréhension du comportement canin.
Il est également important de considérer que ces catégories (restreint, non-restreint, chien des rues, chien de famille…) ne sont pas fixes. Il faut plutôt voir un continuum, avec des catégories qui se chevauchent. Un chien errant qui n’a pas de propriétaire, peut à un moment de sa vie être adopté et restreint dans ses choix – et le contraire est également possible.
Géraldine Merry, comportementaliste spécialiste des chiens des rues
RÉFÉRENCES
Ruiz-Izaguirre, E. (2012) Perceptions of Village Dogs by Villagers and Tourists in the Coastal Region of Rural Oaxaca, Mexico.
Dorji, T., et al. (2020) Community Perceptions of Free-Roaming Dogs and Management Practices in Villages at the Periphery of a Protected Area in Bhutan.
Beckman, M. et al. (2014) Tourists’ Perceptions of the Free-Roaming Dog Population in Samoa.
Ruiz-Izaguirre, E., et al. (2014) Human–dog interactions and behavioural responses of village dogs in coastal villages in Michoacán, Mexico.
Ortolani, A., et al. (2005) Ethiopian village dogs: behavioural responses to a stranger’s approach.
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