Je ne parle pas souvent des difficultés que j’ai rencontré avec mon chien, Snowee. Nous avons traversé des périodes compliquées et d’une certaine manière, Snowee m’a enseigné beaucoup de choses. Il y a toujours un petit bout de cette expérience dans mes accompagments de chiens anxieux et c’est pourquoi j’écris cet article aujourd’hui. Il m’a permis d’améliorer ma capacité de compréhension par la pratique. Un apprentissage d’une grande importance, puisque la compréhension est le socle de mon métier.
Comprendre n’est pas si simple; cela nécessite beaucoup d’observation et du temps. Néanmoins, cela nous permet d’agir sur les bons facteurs afin de trouver un juste équilibre, dans lequel chacun peut évoluer et s’apaiser. Mon expérience avec Snowee servira d’exemple pour illustrer ces points.
Aujourd’hui, ses phases anxieuses sont rares, et ce qui a permis d’en arriver là, ce sont des années passées ensemble, qui m’ont permis d’apprendre à le connaitre, afin de répondre au mieux à ses besoins. Avant de vous en dire un peu plus, il me semble important de préciser d’où vient Snowee, car son histoire offre quelques explications sur le développement des difficultés que nous avons rencontrées.
Son histoire
Snowee est né dans la rue, en Inde. Un monsieur l’a trouvé, seul et très malade. Il l’a recueilli chez lui pendant quelques jours, avant de se rendre compte qu’il ne pouvait pas s’en occuper. Il l’a déposé dans un refuge où il pensait qu’il serait mieux soigné.
J’ai rencontré Snowee dans ce refuge, quelques jours après son arrivée. Il avait environ 3 mois. Ce petit bout de chiot, fragile, malade et plein de croutes, est très rapidement venu à ma rencontre. J’étais accroupie pour saluer un chien, lorsque j’ai senti son petit corps s’appuyer contre mon dos. Je me suis retournée, et le voyant tout chancelant sur ses petites pattes, je l’ai pris dans mes bras. Il s’est immédiatement endormi et je ne l’ai quasiment pas lâché de la journée. Quand je le tenais dans mes bras, il dormait d’un sommeil profond, qui semblait réparateur. En revanche, il vacillait dès que je le posais par terre.
Les soins prodigués par le personnel du refuge étaient insuffisants ; il toussait et son petit corps amaigri ne semblait plus tenir. J’ai contacté un vétérinaire de la ville, qui a accepté de le soigner à condition qu’il ne retourne pas au refuge. De toute manière, je n’aurais pas pu me résoudre à le ramener là bas. Il n’aurait probablement pas survécu.
La décision de l’adopter n’a pas été réfléchie. Le vétérinaire acceptait de le garder si je revenais le chercher, ce qui impliquait de le laisser chez lui en quarantaine le temps de faire les démarches nécessaires pour préparer son voyage vers la France. Je n’avais même pas pensé à lui choisir un nom, et quand le vétérinaire me l’a demandé, la seule réponse que j’ai pu lui donner était: « les gens du refuge l’appellent Snowee”.
Ce petit bout de chien est donc resté chez le vétérinaire pendant 5 mois. Ce dernier vivait dans un appartement, dont le toit abritait une trentaine de chiens de la rue qu’il soignait. Snowee n’a pas quitté cet espace pendant 5 mois; autant dire qu’à ce stade de sa vie, il n’avait pas vu grand chose du monde.
Les retrouvailles étaient très émouvantes pour moi, mais rapidement, le vétérinaire m’a annoncé que Snowee « attaque parfois les autres mâles et ne tolère pas les chats ». Ayant plusieurs chiens et chats à la maison, j’ai commencé à entrevoir les difficultés. Un autre challenge est apparu dans les premiers jours, alors que j’étais encore en Inde; je ne pouvais pas sortir de son champ de vision sans qu’il exprime une détresse très intense.
Les difficultés
À notre arrivée en France, tout s’est confirmé; Snowee ne laissait pas mes chiennes s’approcher de moi, il ne supportait pas que je le laisse seul, il hurlait et se tortillait sur lui-même lorsqu’il apercevait des congénères en balade, il grognait sur mes chats et il exprimait des signes de peur face à de nombreuses choses. Il semblait être dépassé par toutes ces nouvelles expériences. Avec du recul, je pense que ces comportements reflétaient des efforts d’adaptation qui dépassaient ses capacités. Avec si peu d’expérience de vie, il n’était pas assez armé pour faire face au flot de nouveauté à laquelle il devait s’adapter.
Nous avons vécu plusieurs mois compliqués, que nous avons traversé tant bien que mal avec une gestion rigoureuse pour limiter les sources de stress. Séparations avec mes autres animaux et mises en contact très contrôlées, évitement des congénères en promenade, gestion des absences grâce à ma mère qui était présente, réduction des stresseurs dans l’environnement – entre autres. Tout était fait pour qu’il se repose, qu’il soit à l’aise dans son environnement de vie et qu’il ne se sente pas menacé par les autres animaux. Il fallait le sécuriser.
Sur cette base, les manifestations anxieuses ont baissé en intensité, et Snowee s’est progressivement apaisé. Il tolérait de mieux en mieux mes absences et exprimait beaucoup moins de signes de stress dans la maison.
La cohabitation avec mes animaux s’est améliorée en quelques mois, mais c’était toujours compliqué avec les chiens à l’extérieur, surtout après une attaque très soudaine par un chien détaché.
Par la suite, nous avions régulièrement des remontées d’anxiété, qui pouvaient durer de quelques jours à quelques semaines. Dans ces périodes, il perdait l’appétit, il exprimait de nombreux signes de stress et de vigilance, les grognements reprenaient, et il se sensibilisait soudainement à des objets familiers. C’était très visible dans ses comportements; Snowee sursautait plus fréquemment, il fuyait précipitamment face à des stimuli habituels (les pieds sous la couette, un carton posé par terre, les lignes des avions dans le ciel, des gros objets portés à côté de lui…), il se déplaçait rapidement dans une pièce jusqu’à ce que le déclencheur disparaisse de sa vue, et il passait beaucoup plus de temps à scruter l’environnement. En revanche, dès qu’il s’apaisait, tous ces comportements disparaissaient, les peurs ne s’ancraient pas et il mangeait de nouveau.
L’aider
J’ai toujours considéré que ces comportements étaient comme des appels à l’aide. Snowee n’allait pas bien et je devais l’aider. Comprendre comment l’anxiété se déclenche est essentiel pour mettre en place des stratégies de gestion adaptées.
Pour Snowee, ces phases étaient généralement causées par un trop-plein d’expériences, de stress et/ou de nouveauté. Il a fallu du temps, et malheureusement, quelques erreurs, pour comprendre comment fonctionnait cette accumulation. Le seuil est différent pour chaque chien. Connaitre celui de Snowee, en fonction des moments, des contextes, et d’autres facteurs, m’a permis de comprendre comment gérer son quotidien de manière à éviter la fatigue mentale, l’accumulation du stress et la surcharge sensorielle. Pour éviter d’en arriver là, il était aussi nécessaire que je comprenne ce dont il avait besoin et comment lui proposer le mode de vie le plus adapté.
Je crois que c’est un aspect de la thérapie qui est souvent négligé dans la prise en charge d’un problème de comportement. Faire un bilan comportemental peut donner un sentiment de clarté, mais les choses se précisent via des observations sur plusieurs mois. Nous allons développer des techniques et compétences pour affûter notre analyse et améliorer notre compréhension. L’objectif est de mieux connaitre l’animal, pour comprendre comment le problème s’est déclenché, identifier tous les facteurs qui l’influencent et de quelle manière; d’où partent les problématiques et comment elle s’entretiennent. Il est aussi nécessaire de comprendre le chien, qui il est, et l’influence du système dans lequel il vit. Cela prend du temps.
C’est un processus continu, qui implique qu’il peut y avoir des ratés – on ne maitrise pas tout. Pour Snowee, les phases anxieuses sont donc toujours susceptibles d’apparaitre, surtout lors de nouvelles expériences, dont on ne pourra pas anticiper toutes les conséquences. De plus, certains facteurs ont plus ou moins d’influence en fonction des moments, des contextes et des humeurs. D’autres facteurs interagissent plus ou moins entre eux. Vous l’avez compris, c’est très complexe.
Il faut aussi pouvoir reconnaitre les premiers signes d’anxiété pour agir le plus rapidement possible. Dans le cas de Snowee, ces signes sont très subtils; la position de sa queue, sa posture corporelle, certains comportements, ainsi que la perte d’appétit, m’indiquent qu’il commence à saturer. Dans ces moments, je dois vite le soulager.
J’ai mis en place des stratégies d’apaisement, qui se sont perfectionnées avec le temps; jusqu’au jour où elles ont eu le pouvoir d’agir sur lui très rapidement. Les quelques points suivants ont joué un rôle plus ou moins important dans son processus d’apaisement; ce sont quelques mesures parmis d’autres (il fallait sélectionner quelques exemples, à défaut de pouvoir écrire un livre…).
Pas de travail sur la réactivité
J’ai décidé d’éviter les chiens et de ne plus travailler sur les problématiques avec les congénères à l’extérieur. En gérant bien l’évitement, les balades sont devenues beaucoup plus sereines pour nous. Cela a même eu un effet positif sur sa tolérance vis à vis des congénères sur le long terme; aujourd’hui, son seuil de tolérance est bien plus élevé, il se désengage facilement et un croisement ne va pas l’impacter pendant plusieurs jours.
Je n’ai jamais vécu cela comme un échec. Je comprends que certains individus sont plus ou moins sociables et que certains n’ont pas envie de rencontrer tous les congénères qu’ils croisent. Évidemment, notre environnement facilite l’évitement. Vivant en milieu rural, nous connaissons nos voisins et les chiens des alentours. Tout est cartographié mentalement, afin d’éviter les fermes où les chiens ne sont pas restreints, ainsi que les lieux et horaires de promenade des chiens du voisinage. J’ai tiré un trait sur certaines promenades, je n’emmène pas Snowee dans les lieux que je ne connais pas bien et je ne vais pas dans des lieux où il risque d’y avoir des chiens lâchés.
Ses besoins sociaux sont bien comblés; il a un petit cercle de chiens de la famille ou d’amis avec qui il s’entend bien, il vit avec des congénères et ses humains sont très présents. Il a développé une très belle relation avec Titilina, qui est souvent son pilier dans les moments où il doit sortir de sa zone de confort. Titilina est une chienne qui s’adapte très bien, qui adore aller au contact des autres et découvrir de nouvelles choses. Ils se complètent bien.
Je crois d’ailleurs que c’est beaucoup plus important qu’il ait un cercle d’amis congénères avec qui il peut créer un lien de confiance, plutôt que de rencontrer beaucoup de chiens qu’il ne reverra jamais. Ces relations sont bien plus sécurisantes pour lui – pour les chiens en général.
Respecter ses besoins
Snowee est un chien qui aime son confort, qui a ses petites habitudes dans lesquelles il semble bien se complaire. Il a ses coins pour les siestes, son spot de surveillance dans le jardin, les moments de jeu avec Titilina, ses petites activités d’occupation et ses promenades dans les champs. Sa vie est calme, routinière, et cela semble bien fonctionner pour lui. Il exprime bien plus de comportements enjoués et beaucoup moins d’anxiété quand il a une routine stable. C’est ce qui m’a permis de comprendre ce qui lui convenait le mieux.
C’est d’ailleurs un ‘sas de décompression’ pour lui, quand il vit un événement inhabituel et stressant; revenir à sa routine et retrouver ses repères à la maison vont rapidement l’apaiser. Je le sors peu de ses zones de confort (sa maison, celle de ma mère pour les gardes, et ses balades); je l’emmène rarement en vacances, dans de nouveaux lieux, en ville ou chez des gens. Néanmoins, c’est tout à fait possible de lui faire vivre des expériences nouvelles. C’est en grande partie son cocon qui le permet, puisqu’il peut totalement décompresser en revenant à la maison. Être en sécurité chez lui, le rend plus résilient.
Relation sécure
Snowee a un grand besoin d’affection. Il adore se coller à un humain et se faire gratouiller pendant des heures. C’était déjà le cas au refuge, où il ne se montrait jamais aussi apaisé que lorsqu’il était dans les bras d’un humain. Il acceptait aussi très volontiers de se faire dépouiller des dizaines de tiques qu’il avait sur lui; tant qu’on s’occupait de lui, il était heureux.
J’aurais pu tomber dans le piège de l’hyper attachement et croire que c’était la cause de sa détresse lors de mes absences. Beaucoup de gens ignorent leur chien et lui refusent l’affection dont il a besoin, dans le but d’opérer un détachement et résoudre les problématiques liées aux séparations.
Je suis convaincue que la détresse qu’il exprimait quand je m’absentais, était un des symptômes de son insécurité générale dans cette période d’adaptation, et non le problème de fond. Il était déboussolé, il venait de quitter l’endroit dans lequel il avait passé la majeure partie de sa vie, et il cherchait à se sécuriser. Je représentais une source de réconfort, une présence rassurante, et il en avait besoin. J’aurais pu me focaliser sur ce problème, comme si c’était une des problématiques principales, mais sans l’aider à prendre ses marques et sans le sécuriser, cela n’aurait probablement pas servi à grand chose. Ce n’était donc pas ma priorité dans les premiers mois après l’arrivée de Snowee.
Il a reçu beaucoup d’affection, il a dormi avec moi, il n’était pas volontairement ignoré quand je rentrais/sortais, et je ne reprenais pas le ‘contrôle sur nos interactions’ pour réduire ses demandes. Cela n’a pas aggravé le problème. Notre relation est dorénavant basée sur la confiance, le respect des besoins de l’autre et l’écoute – je fais tout pour aller dans ce sens. Il sait que je ne suis pas à sa disposition à 100% du temps, comme il n’est pas toujours à la mienne. Les séparations ont été intégrées doucement, sans trop d’efforts, sans trop de difficultés, et elles sont aujourd’hui très bien tolérées.
La santé
Un dernier point, mais pas le moins important; l’anxiété de Snowee était fortement associée à des troubles digestifs et alimentaires. La perte d’appétit était d’ailleurs parmi les premiers signes que j’observais quand ça n’allait pas. Il est difficile de savoir lequel déclenche l’autre, cependant, l’association était évidente.
Aux premiers signes de troubles, Snowee faisait une petite cure de médicaments et compléments alimentaires permettant d’améliorer son confort digestif – sur recommandation de sa vétérinaire. J’ai pu isoler ce facteur pour comprendre son influence sur son état émotionnel et sur les autres symptômes, et je suis certaine qu’il n’y aurait jamais eu de réel apaisement si nous je n’avais pas identifié ce lien. Il m’a fallu du temps pour trouver un bon équilibre dans son alimentation, cependant, ça valait la peine de chercher.
Ce facteur ne semble globalement pas assez exploré. Quand on met en place ce qui est le plus adapté, mais qu’on n’a pas de réelle amélioration, ou qu’on ne comprend pas bien les mécanismes du problème, on doit se demander s’il n’y a pas quelque chose qui n’a pas été identifié. Les douleurs et l’inconfort physique sont fortement associés aux problèmes comportementaux, comme le montrent de récentes études. Il est donc absolument nécessaire d’explorer ces pistes si on ne progresse pas ou qu’on ne stabilise pas les progrès.
Travailler activement?
Pendant longtemps, je me suis demandée s’il ne fallait pas que je ‘travaille’ plus activement sur certains points (ex: la réactivité vis à vis des congénères) pour améliorer ses capacités d’adaptation. Au final, mes questions se sont orientées sur la nécessité et sur les risques d’un tel travail, sachant que Snowee sature vite et qu’il apprécie son mode de vie ‘slow life’ – et moi aussi d’ailleurs.
Comprendre la balance bénéfices-risques n’est pas facile. Travailler plus activement sur certains points nécessite une exposition, des challenges, des efforts pour l’apprentissage. On ne peut pas considérer que c’est sans risques, même lorsqu’on gère beaucoup de paramètres pour améliorer les chances de succès. Si on peut éviter de prendre ces risques, si un équilibre peut être trouvé; le ‘travail actif’ devient alors moins nécessaire. Le quotidien est gérable, plus vivable et en conséquence, tout le monde s’apaise.
Une autre question concerne la nécessité d’anticiper de futurs challenges. Je pourrais, par exemple, anticiper un changement de vie, même s’il est peu probable. Très honnêtement, je préfère miser sur son bien-être dans le présent, plutôt que de risquer de faire ressurgir son anxiété, dans le but qu’il s’adapte à un hypothétique changement dans le futur. En attendant, je pense sincèrement que son équilibre actuel contribue à le rendre plus résilient.
Mon expérience avec Snowee me conforte dans l’idée qu’une compréhension systémique est nécessaire. Le bien-être d’un animal, est influencé par une multitude de facteurs, qui peuvent aussi bien agir séparément, qu’ils peuvent s’influencer les uns les autres. Les liens sont complexes et difficiles à identifier. Nous pourrions appliquer les interventions les plus pointues, les plus étudiées et adaptées pour travailler une problématique ou un symptôme, si nous ne comprenons pas la structure dans la laquelle ils se développent et se maintiennent, les bénéfices seront limités.