En ce moment, dans le monde anglophone du comportement canin, on entend beaucoup parler du terme ‘agency’ (agentivité en français). Il fait référence à la faculté de contrôle et la capacité d’agir d’un individu. Je vais vous raconter une partie de l’histoire de Roosevelt pour illustrer ce concept et l’importance que cela peut avoir dans la thérapie des chiens phobiques.
Historique
Roosevelt est Eurasier d’un peu plus de 2 ans. Il provient d’un élevage réputé, ses adoptants sont très investis, ils l’ont bien socialisé et ont toujours fait de son bien-être une priorité. Ils m’ont contacté il y a environ un an car Roosevelt exprimait une peur intense face aux véhicules en mouvement et stimuli associés, ainsi que les bruits de détonations.
Roosevelt a occasionnellement montré des signes de peur face ces stimuli après son adoption. Cependant, ses peurs se sont progressivement aggravées, jusqu’à ce qu’elles impactent fortement son bien-être au quotidien. Il est possible que des soucis de santé aient contribué à cette sensibilisation. Notamment, une dilatation-torsion de l’estomac, qui peut créer un stress intense et être extrêmement douloureuse. Ce sont des facteurs qui peuvent significativement affecter l’équilibre émotionnel des animaux et leur résilience.
La peur de Roosevelt était principalement exprimée par des refus de promenade et à l’extérieur, par des comportements de fuite en direction de la voiture. Parfois, ses réactions à l’extérieur n’étaient déclenchées par des stimuli identifiés – je précise qu’il est possible que des stimuli déclencheurs soient non perceptibles par les humains. Les chiens percoivent le monde différemment sensoriellement parlant. L’intensité des réactions, la généralisation rapide des peurs à d’autres types de stimuli et à des contextes entiers, ainsi que la longue durée de récupération (retour à un état ‘normal’) post-exposition, confirmaient l’hypothèse de la phobie et présageaient un travail long et compliqué.
Observation et analyse
Un point intéressant est que Roosevelt fait partie de ces chiens qui sont difficiles à lire. Tant qu’il n’explose pas, on ne perçoit pas facilement son inconfort. Cela n’a pas aidé ses humains socialement, car les membres de leur entourage ne comprenaient pas leur façon de faire. Ils estimaient que Roosevelt allait bien et qu’ils le surprotégeaient. Ses humains se sentaient mal jugés et incompris.
À force d’observation, ses signes d’inconfort devenaient de plus en plus visibles ; en particulier, la tension des muscles faciaux et l’intensification de la vigilance. La sensibilisation progressive aurait certainement pu être évitée s’ils avaient été vus avant, car les déceler augmentait notre pouvoir d’action avant la panique. D’où l’importance d’observer son chien et de bien connaître son état ‘normal’ (baseline), ce qui nous permet de déceler plus facilement les changements pour évaluer son état émotionnel.
Plan d’action
Dans un premier temps, il fallait stopper ce cycle anxieux qui ne faisait qu’aggraver les problèmes. Le cerveau de Roosevelt avait besoin d’une pause et pour cela, nous avons mis en place une ‘mise au vert’ intermittente. Roosevelt refusait souvent de sortir et il fallait respecter cela. Il appréciait cependant beaucoup les activités sportives en club et les activités de stimulation mentale à la maison. De plus, ses gardiens pouvaient régulièrement l’emmener se promener en montagne ; le seul environnement qui ne déclenchait pas de réactions de peur.
Après beaucoup d’analyse et de récolte de données, nous comprenions mieux son fonctionnement. Particulièrement, l’effet du stress et ses besoins pour récupérer. C’était important, car cela nous permettait d’éviter l’accumulation et de limiter le risque qu’il se sensibilise plus. La possibilité de récupérer après un épisode de stress intense contribue à améliorer la résilience (capacité de surpasser les difficultés).
L’objectif général était d’éviter, tant que possible, de déclencher des réactions phobiques et générer un maximum de plaisir et de relaxation à travers des activités qu’il aimait. Il fallait améliorer sa résilience et son optimisme. À côté de cela, il y avait un travail à faire pour reconstruire le lien de confiance avec ses humains. L’application de conseils inadaptés et l’incohérence générée par des changements de stratégie avaient malheureusement impacté leur relation. La reconstruction du lien était cruciale pour avancer.
Plus d’agentivité
Après quelques mois, des hauts et des bas, des pics d’espoir et des moments plus difficiles, une nouvelle approche a été déterminante. Pour résumer, il s’agissait de lui permettre d’avoir un plus grand pouvoir de décision et du contrôle ; une plus grande faculté d’action. Il était sorti s’il en exprimait l’envie, ce qui arrivait de plus en plus fréquemment. En partant d’un lieu qui avait un historique relativement positif et qui était facile à contrôler, Roose évoluait autour de sa zone de confort : la voiture. L’objectif n’était pas de faire une longue promenade, mais plutôt de l’aider à prendre confiance dans l’environnement. À positiver les contextes de promenades. Il choisissait quand il descendait de la voiture et quand il remontait. Il pouvait sentir quelques odeurs autour, choisir de s’éloigner, jouer avec son copain Apache ou avec ses gardiens.
Petit à petit, sur plusieurs mois, Roosevelt a repris confiance. Le contexte des exercices est devenu positif, il montrait de moins en moins de réactions de peur, il s’éloignait de plus en plus de la voiture et en tant que grand explorateur, il profitait pleinement des odeurs dans l’environnement. Nous avons récemment eu plusieurs succès, avec des passages de véhicules près de lui sans réactions négatives et une généralisation du travail à d’autres contextes. Même s’il y a encore des difficultés et qu’il reste du travail, Roosevelt progresse beaucoup, avec de moins en moins de peur. Ce dont il avait particulièrement besoin après sa phase de relâchement, c’était plus controle sur les contextes de promenade.
Pour finir…
Tous les chiens n’ont pas le même besoin de contrôle. Comme pour les humains, certains ont du mal à prendre des décisions et ont fortement besoin d’être guidés. C’est important de nuancer et d’éviter les généralisations. Chaque cas est différent et les approches peuvent varier en fonction des chiens. Ce plan d’action était adapté à Roosevelt et a gagné en efficacité après une période d’analyse et des échanges réguliers avec ses gardiens. Comme beaucoup de problèmes de ce type, il faut du temps pour progresser quand on respecte au mieux l’intégrité physique et psychique de l’animal. Il faut du temps pour comprendre le fonctionnement d’un individu et déterminer ce qui est le plus adapté pour l’aider à surmonter ses difficultés émotionnelles. Il faut du temps pour travailler, pour créer un historique d’expériences positives sans mettre l’animal et l’humain en échec, pour faire beaucoup de répétitions d’une approche qui fonctionne pour avoir des résultats. Surtout quand l’historique des expériences négatives est important (expériences, répétées et/ou très intenses).
Géraldine Merry, Comportementaliste
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