SIRIUS – AGRESSIVITÉ ET GESTION ENVIRONNEMENTALE


Portraits, Thérapies / jeudi, juillet 14th, 2022

Les gardiens de Sirius m’ont contacté parce qu’il grognait, chargeait et ‘snappait’ quotidiennement. Cela se produisait près de sa gamelle, lorsque ses humains passaient à côté de ses jouets ou s’approchaient de lui quand il était sur son couchage. Ce cas est intéressant, car il illustre bien l’importance de la gestion environnementale.

Avant de développer, je précise que c’est un résumé d’une analyse comportementale bien plus approfondie, qui met en lumière quelques points importants. Plusieurs causes, dont les causes médicales, ont été explorées. Si vous avez un problème similaire, la meilleure chose à faire est de contacter un comportementaliste.


Historique des problèmes

Sirius a commencé à exprimer des grognements autour de la nourriture dès son adoption, à l’âge de 2 mois. Nous avons très peu d’informations sur ses premières expériences et nous ne savons pas pourquoi il exprimait ces comportements à cet âge. Très inquiets, ses gardiens ont contacté un professionnel du comportement canin. Ce dernier leur a conseillé de le tenir en laisse quand il mange et de tirer dessus avec des coups secs quand il grogne. Sans surprise, cela n’a pas résolu le problème. Les comportements de mise à distance ont disparu un temps, jusqu’à ce qu’ils ressurgissent beaucoup plus intensément.

Après cela, un autre professionnel a proposé un protocole impliquant du contre-conditionnement. Il s’agit de montrer au chien que les approches des humains lorsqu’il mange génèrent des conséquences positives. C’est une méthode qui fonctionne souvent très bien, à condition que le chien ne soit pas stressé par cette situation. Il faut donc travailler sous son seuil de réactivité pour que cela soit efficace. Son seuil était dépassé et son état émotionnel était très certainement négatif, car Sirius grognait et chargeait durant les exercices. En conséquence, il n’y a pas eu d’amélioration. Dépités, et pensant avoir tout essayé, ses gardiens se sont résignés à vivre avec un chien qui charge et grogne plusieurs fois par jour.

Lorsque j’ai rencontré Sirius, il exprimait des signes de stress (distress) devant la pièce de nourrissage avant que ses repas soient donnés. Il fallait donc arrêter de le nourrir dans cette pièce, car elle contribuait à maintenir un stress important autour des repas. Sirius n’était pas toujours réactif lorsque sa gamelle était vide, mais la présence de nourriture le changeait complètement. Pendant un simple exercice d’éducation, il chargeait la personne qui avait les friandises au bout d’un certain temps. La nourriture était donc également devenue un grand facteur de stress, même en dehors du nourrissage dans la gamelle. Cela rendait un travail par contre-conditionnement avec nourriture impossible. C’est pourtant ce que beaucoup des protocoles pour la ‘protection de ressources’ proposent. C’est problématique car très souvent, la seule présence de nourriture suffit à faire dépasser le seuil de réactivité.


Plan d’action

Il fallait donc tout revoir dans la gestion du quotidien. Le premier objectif était d’éviter au maximum de le faire passer au-dessus de son seuil de réactivité. Pour cela, nous n’avons pas directement cherché à changer Sirius, mais plutôt, son environnement. Voici quelques interventions majeures :

– Il mange dorénavant dans un endroit neutre (un grand couloir) et sa nourriture est directement mise au sol. Le nourrissage n’implique plus de gamelle, ni d’autres objets.

– Plusieurs couchages sont placés hors passage. Non pas pour des histoires de contrôle ou de dominance, mais simplement pour éviter de passer à côté de lui et de le déranger quand il se repose. En faisant cela, on ne provoque plus de réactions agressives quand il se repose. Sirius répond très bien au rappel; si on doit absolument le déloger de son couchage, il faut l’appeler.

– Ne plus reprendre des jouets devant lui, les contourner s’ils sont près de lui ou l’appeler pour le désengager.

– Retirer tous les objets de haute valeur qui déclenchent les réactions problématiques et laisser à disposition ceux qui ont moins de valeur et qui ne déclenchent pas de réaction. Nous avons établi une hiérarchie des objets et retiré tous les objets qui avaient un historique négatif. Une periode test permettait de déterminer si le problème allait etre reporté sur d’autres objets.

– Retirer les objets à mastiquer qui ont une longue durée de vie (ex : cornes) et lui donner des objets à mastiquer qu’il peut manger en une fois (ex : nerf de bœuf…).

Après plusieurs semaines avec un protocole de gestion environnementale, Sirius ne grogne plus. Même si cette gestion est très contrôlée, nous avons cassé ce cercle infernal de réactivité et Sirius est globalement plus apaisé.

À partir de là, nous avons deux choix ; continuer avec cette gestion environnementale stricte, qui est efficace mais contraignante, et l’habituer à la muselière pour les situations exceptionnelles (ex : invités). Dans ce cas, il est possible qu’une longue période sans réactivité génère un apaisement global qui diminue les risques de déclenchements dans le futur. C’est parfois suffisant.

Nous pouvons aussi commencer un travail pour réintégrer très progressivement des objets similaires à ceux qui ont un historique négatif (jamais les mêmes) et travailler sur les approches via la désensibilisation systématique. Dans ce cas, nous limitons plus activement les risques de morsure en générant un historique d’interactions positif avec les objets et les approches ; à travers ces protocoles, Sirius apprendra à réagir différemment.


La gestion environnementale est une solution

Elle comprend tout ce qui fait partie de l’environnement du chien, incluant l’humain, et forme généralement une base nécessaire pour apaiser un animal et freiner l’escalade d’un problème. Parfois, elle est suffisante pour régler un problème ; on ne cherche donc pas forcément à modifier les réactions du chien ou sa perception de certains déclencheurs, si on peut les éviter sans que cela crée trop de contraintes et sans que cela réduise son bien-être.

Cela dit, la gestion environnementale n’est pas encore très acceptée puisqu’elle peut être considérée comme de l’inaction. Les gens s’attendent à ce qu’on agisse sur le chien et ils sont d’ailleurs souvent convaincus que la modification comportementale – changer le comportement du chien – est la seule solution. Même quand son comportement est normal, même pour des problèmes plus simples, il peut être difficile de convaincre de ‘simplement’ faire quelques modifications dans l’environnement ou changer certaines pratiques pour stopper un problème. Par exemple, pourquoi entraîner un chien à ne pas aboyer quand quelque chose passe devant la fenêtre (ce qui peut être difficile et long), alors qu’on peut simplement placer un brise-vue ?

Dans le cas de Sirius, la gestion est contraignante et l’évaluation des risques doit être permanente. Oui, ça engage beaucoup de préparation et de contrôle, car le risque de morsure est très présent. Tout doit être anticipé, calculé, analysé…

Néanmoins, la modification comportementale (changer ses réactions face aux stimuli problématiques) ne réduira pas totalement ce risque, vu l’historique des réactions. Dans l’un comme dans l’autre, il faudra toujours être très vigilant et prendre un maximum de précautions pour limiter les risques. Et même si on intègre une modification comportementale, on devra continuer la gestion environnementale.

Dans le cas de Sirius, sa qualité de vie n’est pas réduite par les changements qui ont été mis en place. Aucune de ses activités quotidiennes n’ont été éliminées et ses besoins sont bien comblés. Ses gardiens le trouvent d’ailleurs plus enjoué et apaisé.

Géraldine Merry, comportementaliste (voxcanis.fr)

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