LA SPÉCIALISATION : réflexion sur son rôle dans notre profession


Actualités scientifiques, réflexions, idées, Conseils pratiques, Pratique professionnelle / vendredi, novembre 1st, 2024

Dans le monde professionnel du comportement canin, la spécialisation semble être une tendance incontournable. De nombreux pros se posent la question : « Dois-je me spécialiser ? » Alors que cette démarche peut sembler avantageuse, elle soulève également plusieurs préoccupations.

Une tendance qui peut engendrer la confusion

L’augmentation des spécialistes peut parfois prêter à confusion, tant pour les professionnels que pour les clients. Par exemple, il n’est pas rare que des particuliers consultent indépendamment plusieurs professionnels sur la même période; parce qu’ils rencontrent plusieurs problèmes et estiment que ces derniers doivent être traités séparément. Cela peut poser problème, notamment lorsque certaines de ces problématiques sont liées; c’est à dire qu’elles s’influencent ou qu’elles ont la même cause. Il est donc parfois nécessaire d’agir sur une cause et cela doit se faire avec cohérence. Il peut arriver que plusieurs professionnels travaillent sur un cas, sans concertation, ni cohérence, ce qui peut nuire à la qualité de la thérapie.

Aujourd’hui, de nombreux clients se tournent directement vers des pros spécialisés, pensant que l’intervention de ces professionnels sera plus efficace que celle de professionnels non spécialisés. Pourtant, la spécialisation n’est pas toujours synonyme de compétences, et il faut faire particulièrement attention lorsqu’on choisit le professionnel qui nous accompagnera.

Spécialiste versus généraliste

Un professionnel qui est spécialisé, a choisi de travailler principalement sur une catégorie de problématique. Certains travaillent sur les problèmes liés aux séparations/absences des gardiens, d’autres sur les problèmes liés à la peur, ou encore, aux comportements de prédation. Il existe autant de potentielles spécialisations qu’il existe de problématiques. Il n’y a pas de règle; une personne peut se ‘spécialiser’ à n’importe quel moment de sa carrière, avec ou sans formation, avec ou sans validation de leurs compétences, avec ou sans expérience généraliste. Ce qui motive le choix de la spécialisation varie selon les professionnels; certains sont tout simplement passionnés par le sujet, d’autres veulent répondre à un besoin (demandes des clients), et pour certains, ce sont des problématiques qu’ils aiment travailler. Il existe quelques certifications pour certaines spécialisations, qui sont plus ou moins exigeantes sur leurs critères pour valider les compétences des professionnels.

Un professionnel plus généraliste, prend en charge diverses problématiques. Il peut traiter une variété de problèmes, sans forcément se former plus intensément sur une thématique. Cela a des avantages et des inconvénients. Le généraliste peut acquérir de très bonnes connaissances pour analyser un problème dans son ensemble, grâce à la diversité des cas qu’il prend en charge. Par conséquent, il peut agir sur différentes problématiques à la fois. Une solide expérience généraliste est souvent nécessaire pour appréhender les cas d’une manière holistique, ce qui permet au professionnel d’évaluer différentes hypothèses, pour améliorer sa compréhension. Cela dit, être généraliste ne signifie pas qu’on peut prendre en charge tous les cas qui viennent à nous; les professionnels devraient connaitre leurs limites quant à ce qu’ils sont capables de traiter ou non. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas.

Les risques de la spécialisation sans expérience généraliste

Il arrive souvent que certains professionnels se spécialisent dès le début de leur carrière, ou sans avoir acquis une bonne expérience généraliste. Cette décision peut limiter leur capacité à gérer une variété de cas et à développer une vision globale. A contrario, une bonne maîtrise des différentes problématiques peut enrichir la pratique d’un spécialiste et améliorer les résultats pour les clients.

Prenons un exemple concret : lors d’une récente consultation, le motif principal était des comportements problématiques pendant les absences des gardiens. En creusant, j’ai réalisé que la chienne avait aussi une forte sensibilité aux bruits; particulièrement ceux qui provenaient de l’extérieur de l’appartement, et qui pouvaient générer des réactions de stress intenses. Une grande partie de la séance a été consacrée à cette sensibilité, car il est essentiel de comprendre comment une problématique influence l’autre, et de travailler sur tout ce qui peut influencer la gestion de la problématique principale (le motif principal de consultation est généralement la priorité des clients). Même si un professionnel n’est pas spécialisé, il doit pouvoir proposer des solutions initiales et cohérentes, adaptées au profil du chien et de ses autres problématiques, tout en freinent l’aggravation de la situation.

L’équilibre entre spécialisation et généralisation

Il est important de souligner qu’être spécialisé ne signifie pas renoncer à être un bon généraliste. Beaucoup de professionnels ‘spécialisés’ sont aussi de très bon généralistes. Avoir la capacité d’aborder diverses problématiques enrichit une pratique spécialisée. Un bon travail généraliste est nécessaire avant de se concentrer sur une spécialité, et parfois, il peut même suffire à résoudre certaines problématiques. Cela implique un gros travail de recherche, d’analyse et de compréhension, de toutes les problématiques; absolument nécessaire, quelle que soit le motif de consultation.

N’importe quel professionnel devrait être capable de faire un travail de fond, et ce dernier est souvent un prérequis, avant d’engager un travail plus actif sur certaines problématiques. Pour cela, il est nécessaire d’agir sur les critères de bien-être, la gestion de l’environnement, l’évitement des situations et stimuli sensibilisants, la sécurisation de l’animal dans ses relations avec ses humains, l’exploration de potentielles causes médicales, etc. Cela sera parfois suffisant pour améliorer la situation et traiter la problématique majeure.

Lorsqu’un professionnel plus généraliste sent que la situation nécessite une expertise plus fine, il peut orienter les clients vers un professionnel spécialisé. C’est là que la spécialisation prend tout son sens : elle permet d’affiner les approches et d’acquérir des outils adaptés aux cas complexes. Les deux approches se complètent très bien, mais il ne faut surtout pas oublier l’importance du travail généraliste, que certains font avec excellence! Dans certains cas, le ‘généraliste’ ne pourra pas se passer de l’aide du spécialiste, en revanche, le spécialiste pourra difficilement produire un travail efficace s’il n’y a pas eu une approche généraliste en amont.

Attention aux faux spécialistes

Contrairement à d’autres domaines comme la médecine, il n’existe pas de formation officielle, ni de qualification obligatoire, pour se « spécialiser ». Certains professionnels investissent beaucoup dans leur formation continue, tandis que d’autres profitent simplement de la tendance sans avoir les compétences adéquates. Les termes « spécialiste » ou « spécialisation » évoquent la compétence, une haute expertise; mais ce n’est pas toujours le cas dans ce domaine. Certains professionnels, à peine formés, et sans expérience généraliste, se lancent dans des spécialisations très complexes sans prendre la mesure des risques que cela implique. Il est crucial de comprendre que la spécialisation, bien que parfois nécessaire, n’est pas toujours synonyme de compétence accrue.

Conclusion : choisir judicieusement

En fin de compte, il est essentiel de ne pas limiter vos recherches aux seuls professionnels spécialisés. De nombreux généralistes compétents offrent un accompagnement de grande qualité, sans nécessairement avoir une spécialisation.

Faites preuve de discernement dans vos choix et explorez toutes les options qui s’offrent à vous. La clé du succès de la thérapie réside souvent dans une compréhension globale des problèmes. Un bon généraliste peut être tout aussi efficace qu’un spécialiste.

Si vous êtes un professionnel en début de carrière et que vous vous interrogez sur la spécialisation, voici un conseil : quel que soit votre choix, acquérez d’abord une solide expérience généraliste, idéalement sous la supervision d’un professionnel expérimenté.


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