Les chiens de Roumanie sont de plus en plus nombreux à être adoptés en France. Les réseaux sociaux regorgent de publications et d’annonces qui sensibilisent le public aux conditions de vie difficiles des animaux sur place. Les adoptions de chiens roumains sont souvent le fruit d’un coup de cœur, néanmoins, elles ne sont pas toujours accompagnées des informations nécessaires pour prendre une décision éclairée.
Bien que de nombreuses adoptions se déroulent sans difficultés, certaines sont de véritables défis, tant pour le chien que pour son adoptant(e). Étant en première ligne face à ces adoptions difficiles, je vous propose, dans cet article, quelques conseils préventifs afin que la décision d’adoption soit plus réfléchie pour celles et ceux qui s’informent avant de se lancer.
Qui sont les chiens roumains?
Comprendre d’où viennent ces chiens, et notamment leur mode de vie en Roumanie, est essentiel pour mieux appréhender les problèmes qui peuvent survenir lors de leur adoption. Les chiens roumains proviennent principalement de la rue et, pour la plupart d’entre eux, n’ont jamais connu la vie dans un foyer humain. Cette vaste population de chiens errants existe depuis des décennies, résultant de divers facteurs politiques, culturels et économiques. Elle a été gérée par des campagnes d’abattage et de captures menées au fil des ans.
Il est essentiel de considérer l’impact potentiel que ces persécutions peuvent avoir sur le comportement des chiens à long terme. Ce sont souvent les individus les plus réactifs et craintifs qui survivent, car ils sont moins susceptibles d’être capturés. Par conséquent, au fil des générations, ces chiens peuvent devenir de plus en plus méfiants et craintifs envers les humains et leur environnement.
Les chiens adoptés par le biais d’associations basées dans les pays francophones proviennent généralement de refuges privés ou de fourrières. Pour ceux issus des fourrières, bon nombre d’entre eux ont été capturés dans la rue par des ‘dog catchers’. Comme la plupart n’ont pas de propriétaires identifiables, ou que ceux-ci ignorent que leur chien est en fourrière, ces animaux ne sont jamais réclamés.
Selon la politique de gestion de la fourrière, ils risquent d’être euthanasiés ou de rester enfermés à vie. C’est pourquoi ces établissements sont souvent qualifiés de « fourrières mouroirs ». Les conditions de vie y sont rarement conformes au minimum requis pour garantir le bien-être animal. Ce sont des environnements extrêmement stressants, où les chiens ne peuvent pas répondre aux besoins propres à leur espèce. Plus ils y passent de temps, plus leur santé, tant physique que mentale, en souffre.
Les refuges privés opèrent différemment, étant généralement gérés par des passionnés d’animaux. Les chiens qui y sont accueillis ont des histoires variées : certains ont eu des propriétaires, d’autres ont vécu dans la rue, et d’autres encore ont été trouvés blessés. Toutefois, beaucoup d’entre eux sont des chiots recueillis dans la rue, avec ou sans leur mère, à un âge très précoce. Il y a donc de nombreux chiots à l’adoption. Ces derniers grandissent au sein du refuge et n’ont souvent rien connu d’autre que cet environnement. Malheureusement, les travailleurs et bénévoles des refuges manquent de temps et de ressources pour socialiser adéquatement les chiots. En conséquence, ces derniers cumulent un déficit d’expériences et d’apprentissages essentiels. Cela réduit leurs capacités d’adaptation et augmente le risque de développer des troubles anxieux à l’âge adulte.
Pourquoi est-il nécessaire d'anticiper les difficultés?
Chaque chien s’adaptera différemment à son nouvel environnement de vie, mais certains profils sont plus susceptibles de rencontrer des difficultés d’adaptation. C’est notamment le cas des chiens traumatisés et des jeunes n’ayant rien connu d’autre que leur refuge. Cela ne signifie pas qu’ils connaîtront tous des problèmes, mais il est utile d’être préparé à faire face à certaines de ces difficultés lors de l’adoption. Ces dernières peuvent avoir un impact significatif sur notre qualité de vie et nous ne sommes pas tous capables d’y faire face sans en souffrir. De plus, les associations disposent rarement des ressources nécessaires pour réaliser des évaluations comportementales approfondies, ce qui limite la prédiction de l’adaptation d’un chien dans un foyer. Ce que peut exprimer un chien dans l’environnement d’un refuge ou d’une fourrière, n’est pas nécessairement représentatif de son comportement dans un cadre familial.
Je tiens à souligner que beaucoup des chiens roumains s’adaptent très bien, et que l’adoption est une source de bonheur pour de nombreuses familles. Cependant, les problèmes récurrents ne sont pas suffisamment abordés avant l’adoption. Mes clients me confient souvent qu’ils n’ont pas été informés, ni préparés, aux potentielles difficultés. Cet article se focalise donc sur les problématiques que je vois le plus souvent en consultation et qui posent le plus de difficultés aux humains. Si vous estimez qu’il serait impensable de gérer de tels problèmes ou que vous seriez en grande difficulté, prenez le temps de bien réfléchir à l’adoption que vous envisagez.
La peur
C’est l’une des difficultés les plus courantes chez les chiens roumains, en particulier la peur de l’humain. Certains d’entre eux ont été attrapés de manière violente par des ‘dog catchers’, ce qui constitue une expérience très traumatisante. D’autres ont peu interagi avec les humains ou n’ont pas eu d’expériences positives avec ces derniers. Pour la plupart, ces chiens n’ont pas eu l’opportunité de nouer un lien d’attachement, ni de développer une relation de confiance avec un humain. Les chiens nés dans la rue n’ont généralement pas eu de contact avec les humains durant leurs premières semaines de vie.
La peur et la méfiance représentent des obstacles importants. Dans certains cas, il peut être impossible d’approcher notre protégé, tandis que dans d’autres, établir un lien de confiance peut s’avérer difficile. Si la méfiance prend le dessus, la coopération sera compliquée à mettre en place. Cela se manifestera par de l’évitement, des exercices de coopération (ex: le rappel) inefficaces, et une communication difficile. Plus on tentera de négocier, plus le chien sera méfiant. Moins on respectera ses choix, moins il aura confiance. C’est particulièrement marqué chez les individus pour qui l’humain ne représente pas quelque chose de positif à la base.
Certains chiens parviendront à tisser un lien fort avec leurs adoptants, mais resteront très craintifs vis-à-vis des personnes extérieures au foyer. Il est important de souligner que la peur des humains au masculin est fréquente. Les chiens peuvent avoir plus de mal à tisser un lien avec les hommes du foyer ou se montrer plus réactifs vis à vis des hommes en général.
Les problématiques de peur face à la nouveauté, aux bruits, à certains objets et dans des environnements hyper-stimulants sont elles aussi fréquentes. Il peut être impossible de mettre une laisse ou un harnais à certains chiens, tandis que d’autres refuseront de sortir (ou de rentrer pour ceux qui ont accès à un jardin), et certains paniqueront au moindre bruit. La vie en ville sera impossible pour les plus craintifs. Il sera donc nécessaire d’adapter l’environnement, les gestes et les habitudes. Dans certains cas, il faudra accepter que le chien ne sorte pas pendant un certain temps (parfois plusieurs mois).
Il est donc essentiel de questionner notre capacité à gérer la situation si nous adoptons un chien que nous ne pourrons pas toucher, qui sera très craintif avec certains membres du foyer, qui ne pourra pas être sorti, ou qui aura des difficultés à être en présence d’inconnus. Au quotidien, cela peut avoir un impact sur notre vie sociale et limiter les activités que nous pourrons partager avec lui – il faut pouvoir l’accepter. Si vous adoptez un chien très craintif, il sera généralement nécessaire de revoir certaines de vos attentes, notamment en ce qui concerne l’idée de l’emmener partout, de mener une vie sociale active ou de faire des promenades dans tous les environnements.
L'anxiété
C’est un état émotionnel caractérisé par l’anticipation et l’inquiétude, dont la fonction est d’identifier un danger avant qu’il ne survienne, afin d’améliorer les chances de survie. Bien que l’anxiété soit normale dans certains contextes, elle peut avoir un impact significatif sur le bien-être lorsqu’elle est intense, prolongée et très fréquente. L’anxiété est souvent associée à un biais mental pessimiste, au surmenage et au stress. Les troubles anxieux se manifestent de différentes manières et dans divers contextes.
En général, ce sont les situations où les chiens ont peu de contrôle, qui sont imprévisibles, ou pour lesquelles ils ont peu d’expérience — ou des expériences négatives — qui déclenchent ces réactions émotionnelles. S’ils sont exposés trop fréquemment à ces situations, sans de bonnes capacités de gestion, l’anxiété risque d’augmenter considérablement. Cela peut entraîner des comportements excessifs et intenses, une réactivité accrue et des difficultés d’adaptation. L’anxiété est difficile à maîtriser et peut devenir très problématique au quotidien.
Plus un chien est résilient (généralement et dans ces contextes) meilleures seront ses capacités d’adaptation. En revanche, les chiens peu résilients, peu expérimentés, craintifs et dont les compétences de vie n’ont pas été renforcées, seront plus susceptibles de développer des troubles anxieux. C’est souvent le cas des chiens qui ont grandi en refuge ou en fourrière, n’ayant quasiment connu que cet environnement stressant. Des expériences de vie limitées, un déficit de socialisation et de familiarisation, une forte exposition au stress et l’isolement sont autant de facteurs défavorables au bon développement psychologique de ces animaux.
Les troubles anxieux ont tendance à se développer à l’âge adulte, et tout ce qui est fait — ou non — avant que le chien n’atteigne cet âge influencera ces problématiques. Il est donc essentiel de prévenir le développement de ces problèmes dès l’arrivée du chien, même s’il ne manifeste pas encore de difficultés d’adaptation flagrantes. Ignorer la nécessité de prévenir l’apparition de ces problèmes chez de tels profils est très risqué. Cela impliquera notamment de limiter les expériences nouvelles et stressantes.
Les invités
C’est une problématique qui est souvent mentionnée lors de mes consultations, même lorsque ce n’est pas le motif principal. Il est important de s’y préparer, car cela peut avoir un impact considérable sur la vie sociale des adoptants. Qu’il soit très craintif ou non, le chien peut rencontrer des difficultés face à l’arrivée d’invités.
Cette situation est complexe à expliquer, car elle peut découler de différentes causes, telles que la protection de son espace, la perte de contrôle ou la peur des humains. La peur des humains est souvent au cœur du problème, même si le chien n’exprime pas de signes de peur très intenses. D’ailleurs, lorsque le chien aboie et charge, on a tendance à penser que ce n’est pas motivé par la peur, ce qui est inexact. Selon le contexte, un chien qui ressent de la peur cherchera à augmenter la distance entre lui et ce qu’il perçoit comme une menace. Il peut le faire en fuyant, mais il peut aussi bien adopter des stratégies de mise à distance plus offensives, telles qu’aboyer et charger. Une fois qu’il réalise que ces stratégies sont efficaces pour éloigner la menace, elles peuvent se renforcer rapidement.
La venue d’invités est généralement problématique pour les chiens lorsque l’arrivée est soudaine, que les invités adoptent des gestes et des postures perçus comme menaçants (comme une approche frontale, un contact direct ou une main sur la tête), lorsque l’espace est restreint, et quand le chien n’a pas la possibilité de s’éloigner. C’est dans ce dernier cas, en particulier, qu’il peut exprimer des comportements offensifs de mise à distance. L’anxiété et la peur, ainsi que les expériences négatives qu’ils ont vécu avec des humains ou un manque de familiarisation, constituent des facteurs de risque.
Il sera donc nécessaire de s’adapter, ce qui peut impliquer de réduire les visites pendant un certain temps, de limiter leur durée, de créer des rituels de présentation à l’extérieur ou d’apprendre au chien à se relaxer dans une autre pièce. Ce qui pose généralement le plus de difficultés pour les adoptants, c’est le sentiment de ne plus avoir de vie sociale depuis l’arrivée de leur chien, car ils n’arrivent pas à gérer cette situation. Cela peut être une réalité difficile à vivre pour certains.
Les facteurs de risque pour les adoptants
Je vous invite à bien réfléchir à cette adoption si vous êtes dans l’une des situations suivantes, car ce sont des facteurs de risque que j’ai pu identifier au fil de mes suivis de chiens roumains.
– Vous vivez dans un environnement très urbain sans jardin. Vous devez être prêts à gérer les besoins d’un chien qui refuse de sortir (le forcer n’aidera vraiment pas dans la plupart des cas). Vos sorties pourront aussi être très intenses, si votre chien accepte de sortir mais avec beaucoup d’anxiété. De manière générale, vivre en centre urbain peut poser beaucoup de difficultés et c’est à éviter avec des chiens très craintifs et/ou mal socialisés. Pour limiter les risques, assurez-vous que le chien que vous adoptez est bien sociable – mais soyez tout de même préparés à rencontrer des difficultés.
– Votre environnement est difficile à gérer. Ce qui pose souvent problème, c’est de gérer un environnement imprévisible, avec beaucoup de changements. Par exemple, une cliente qui a des chambres d’hôtes a eu beaucoup de mal à gérer l’environnement avec son chien très craintif. Les environnements petits, avec beaucoup de passage, beaucoup d’humains ou beaucoup de bruit peuvent poser problème. Il est possible de mettre en place une gestion environnementale, mais cela nécessitera certains ajustements, plus ou moins contraignants.
– Vous avez une vie sociale riche et vous bougez beaucoup. Si vous rêvez d’avoir un chien qui vous suive en randonnée le weekend, chez vos amis, aux terrasses de cafés… alors faites bien attention à votre choix d’adoption. Si votre chien a des difficultés d’adaptation, tous ces changements, une routine imprévisible et trop stimulante, risquent de poser problème. Votre chien peut refuser de vous accompagner, mais il peut aussi l’accepter tout en n’ayant pas les capacités pour gérer ces expériences. Cela peut avoir des conséquences néfastes sur son bien-être à court et à long terme. Les profils les plus sensibles ont besoin d’une routine, d’un environnement de vie et d’activités prévisibles. Il faut éviter de les surstimuler.
– Vous n’avez pas d’autres chiens/animaux. Les chiens roumains s’adaptent généralement mieux dans les foyers où il y a déjà d’autres chiens ou animaux (les chats étant souvent un bon soutien aussi). Habitués à vivre avec des congénères, ces derniers peuvent représenter un repère sécurisant pour eux. Leur intégration est facilitée en observant et en s’adaptant au comportement des autres. Adopter un chien seul n’est pas toujours problématique, mais cela présente davantage de risques, en particulier pour les plus jeunes, qui ont généralement grandi avec leur fratrie et qui ont plus besoin des adultes pour apprendre.
– Vous ne voulez pas faire de sacrifices, ni revoir vos attentes. Les échecs d’adoption sont très souvent associés à des attentes trop élevées face à des difficultés auxquelles nous n’étions pas préparés. C’est un phénomène bien étudié. Si vous n’êtes pas prêts à faire des sacrifices, à modifier certaines habitudes et à vivre avec un chien qui ne répond pas à vos attentes, l’adoption à distance devient d’autant plus risquée. Avec le peu d’informations disponibles sur le chien, il vous sera difficile de déterminer si vos besoins sont compatibles avec les siens. Vivre avec un chien très craintif ou anxieux est souvent bien éloigné de l’image que l’on se fait de la vie avec un compagnon canin.
Réduire les risques d'échec dans le processus d'adoption
Pour minimiser les risques de vous retrouver dans une situation que vous ne sauriez pas gérer, plusieurs actions peuvent être envisagées avant de prendre votre décision :
– Demandez à l’association un maximum d’informations sur le chien qui vous intéresse, ainsi que des vidéos. Si possible, demandez à le voir dans un contexte différent de celui de l’enclos où il se trouve.
– Lorsque vous contactez les associations, exprimez vos attentes, le type de profil que vous recherchez et les aspects que vous ne serez pas en mesure de gérer. Elles peuvent parfois vous orienter vers un autre chien mieux adapté à vos besoins.
– Contactez un.e professionnel.le du comportement pour discuter de cette adoption, des risques éventuels et des mesures que vous pouvez mettre en place dès les premiers jours afin d’éviter les erreurs susceptibles de causer des problèmes à long terme.
– Préparez-vous à faire face aux problèmes évoqués dans cet article : projetez-vous dans ces situations, réfléchissez à la manière dont se déroulera votre quotidien si vous rencontrez ces problèmes et évaluez si vous êtes prêt à modifier vos habitudes. La plupart de ces problèmes ne se règlent pas en quelques jours, même avec l’aide la plus adaptée.
– Prenez le temps de bien réfléchir et évitez d’adopter sur un coup de tête. Dans tous les cas, l’adoption entraînera un bouleversement dans votre vie. Même si elle peut vous apporter beaucoup de bonheur, il est essentiel d’être préparé à accueillir ces changements.