LA PEUR CHEZ LE CHIEN (5/5)


Conseils pratiques, Éthologie canine, Thérapies / dimanche, novembre 15th, 2020

Article 5: gestion de la peur ; immersion versus désensibilisation

La peur est une émotion qui est générée et entretenue par l’exposition au stimulus déclencheur (ce qui fait peur). Pourtant, il y a deux conseils (erreurs) que je lis et que j’entends souvent: « il faut attendre que ça passe, il va s’habituer » et « il faut continuer à exposer le chien au stimulus déclencheur ». Le problème, c’est que si on fait ça, il ne faut pas le faire n’importe comment ; il y a des techniques et protocoles à connaître. Ces conseils ne prennent pas du tout en compte tous les aspects techniques importants. Et ils conduisent souvent à l’aggravation du problème.

Ces deux méthodes les plus couramment utilisées, l’immersion et la désensibilisation systématique, sont également appliquées en thérapie pour les humains. Deux méthodes très opposées, que je vais résumer dans cet article.

L’immersion

C’est une technique qui implique d’exposer l’individu en thérapie à l’objet de sa peur, de manière directe et prolongée. La peur est intense, le déclencheur est très proche et il n’est pas possible de s’échapper. Par exemple, un claustrophobe sera enfermé dans un placard pendant plusieurs heures, sans possibilité d’en sortir. Un chien qui a peur des gens sera emmené dans un marché bondé. Imaginez l’intensité de la peur et la détresse ressenties… Il y a plutôt intérêt à ce que cela fonctionne.

Pourquoi est-ce qu’on fait subir cela à des personnes et animaux peureux ? La théorie est que l’émotion et les réponses physiologiques qui y sont associées peuvent seulement impacter le corps pour un temps limité. Après quoi, l’individu se calme. La peur déclenche des réactions intenses et rapides qui servent à agir vite, généralement en fuyant très vite une situation menaçante. La procédure est donc maintenue jusqu’à ce que l’individu retrouve un état émotionnel de référence (évalué avant la procédure) – jusqu’à ce qu’il soit détendu et calme.

Cela dit, il faut bien faire attention. Si la procédure est stoppée alors que l’individu est toujours en état de détresse émotionnelle et qu’il n’est pas revenu aux niveaux de référence, il sera potentiellement encore plus sensibilisé. Et d’après plusieurs expériences conduites dans les années 60-80, cela peut durer bien plus longtemps qu’on le pense. Parfois, quelques heures. Par exemple, dans une expérience de Marshall (1985) des patients souffrant de vertige étaient mis en situation (en haut d’un immeuble) pour des durées allant de quelques minutes à quelques heures. Aucune amélioration ne s’est produite pour les patients exposés pour de courtes durées. Ceux qui étaient exposés longuement et qui étaient entraînés à utiliser des techniques de relaxation pendant la procédure, virent les meilleures améliorations.

Il y a donc un risque significatif à utiliser cette méthode avec les animaux, et ce, pour plusieurs raisons :

– Une exposition trop courte va sensibiliser encore plus l’animal. La procédure n’est pas efficace si l’individu n’est pas retourné à un niveau de référence.

– On ne sait pas si l’état émotionnel de référence est vraiment atteint. Et c’est particulièrement difficile avec les animaux, contrairement aux patients humains, qui eux, peuvent indiquer s’ils se sentent détendus. On peut aisément penser que l’animal est totalement détendu alors qu’il est dans une forme de résignation ou inhibe son comportement en réponse à la peur.

– Il est donc difficile d’estimer la durée d’exposition adéquate.

– On ne sait pas si les animaux réagissent exactement comme les humains, sur qui la majorité des expériences ont été faites. Il se peut que même avec une exposition prolongée, nous sensibilisons quand même l’animal. Nous le voyons avec certains problèmes comme la peur en voiture. Même de longs trajets ne semblent pas toujours aider le chien à mieux appréhender ses futurs trajets.

– Les humains peuvent penser, rationaliser, se calmer, car ils savent que la situation est temporaire et maîtrisée par des spécialistes. Le chien n’a pas cette possibilité et peut ressentir une détresse extrêmement intense.

– Cette méthode est donc très risquée et surtout, elle pose des questions éthiques. Volontairement placer un animal dans une situation où il ressentira une peur intense sans avoir la possibilité d’y échapper, c’est de la maltraitance.

La désensibilisation systématique (DS)

J’ai mentionné l’efficacité des techniques de relaxation pour aider un individu à mieux surpasser ses peurs. On se rapproche plus de la DS, à travers laquelle un individu est exposé à des déclencheurs de manière graduelle, tout en générant un maximum de relaxation durant la procédure. Le déclencheur doit au départ être de faible intensité. Par exemple, un chien qui a peur des inconnus sera mis en situation avec des personnes qui ne bougent pas et qui sont à une grande distance.

Le but est qu’il ne ressente pas de stress, ni de peur. Le déclencheur est suffisamment loin et l’animal se sent en sécurité. Il peut se détendre et faire autre chose. On l’habitue donc à la présence du déclencheur de faible intensité. Et petit à petit, on augmente cette intensité. Le déclencheur est un peu plus proche, il commence à bouger un peu, il fait du bruit, il a un chapeau, il y a deux personnes, etc. Et en parallèle de ce travail, on n’expose pas directement l’animal à l’objet de sa peur, jamais.

Il y a des avantages et des inconvénients à cette méthode :

– Elle implique beaucoup plus de travail que l’immersion, mais elle est nettement moins difficile à vivre pour l’animal. En fait, il y a beaucoup moins de risques de sensibiliser l’animal.

– C’est long et très technique. Il y a plein de paramètres à prendre en compte et il faut se faire aider par un professionnel qui maitrise bien la méthode (ce n’est pas le cas de tous) afin de ne pas faire pire que mieux.

– Il faut bien connaître les comportements de référence de l’animal et il faut bien évaluer ses réactions (ou ses non-réactions). Ce n’est pas toujours facile. Dans le doute, on favorise les expositions qui ne déclenchent pas de réactions. Par exemple, le chien a perçu le déclencheur, mais continue ce qu’il était en train de faire ou il s’en détourne facilement. Mais il faut tout de même que l’exposition soit suffisante pour que l’animal perçoive le déclencheur.

– Il est difficile de maîtriser l’environnement et les déclencheurs. Si vous travaillez dans un lieu public, vous ne maîtriserez pas tout ce qu’il y a autour de vous.

– On n’identifie pas toujours les bons stimuli. Par exemple, un animal qui a peur chez le vétérinaire, n’a peut-être pas juste peur des manipulations physiques ou de la table, il est peut-être sensible aux odeurs, aux bruits, à certains stimuli visuels. En théorie, il faudrait travailler sur tous ces stimuli séparément.

Contre-conditionnement (CC)

On dit souvent que la désensibilisation systématique et le contre-conditionnement vont de pair. Cela dit, pour la petite info un peu plus technique, certains spécialistes considèrent que le CC est le mécanisme opérant de la DS. Ce qui veut dire que l’un ne va pas sans l’autre.

Le CC fait donc référence à ce qui oppose ou contre un conditionnement existant. On associe le stimulus déclencheur avec la prédictibilité de quelque chose que l’individu considère comme très appétant ou plaisant. Ce qui veut dire que le déclencheur devient le signal de bonnes choses, d’une émotion positive plutôt que négative. La nouvelle réponse (émotionnelle et comportementale) qui est conditionnée ne peut pas se produire en même temps que la réponse qui existait avant la procédure. Elle la contre, la remplace.

On utilise donc généralement cette méthode lorsqu’on expose progressivement le chien à l’objet de sa peur. Et l’association positive ne peut être faite que si le chien est détendu et « optimiste ».

En conclusion

L’immersion est donc à éviter (et les professionnels qui l’appliquent aussi) afin de ne pas risquer d’empirer les réactions de peur du chien et surtout, pour ne pas impacter son bien-être. C’est une méthode qui peut déclencher des états de stress très intenses et il ne faut pas sous-estimer l’effet néfaste que cela peut avoir sur l’animal. La DS est préférable, même si elle est plus difficile à appliquer. Elle permet à l’animal de ne jamais être exposé à des situations extrêmement stressantes, tout en apprenant à mieux s’adapter et gérer ce qui déclenche des états émotionnels négatifs. De bons professionnels peuvent vous guider dans ce travail.

À côté de ça il sera nécessaire de s’assurer de plusieurs points pour bien sécuriser l’animal dans son quotidien; santé, compétences de vie, relation avec l’humain, possibilité de bien décompresser, etc.


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