LES CHIENS RÉGULATEURS


Actualités scientifiques, réflexions, idées, Education canine, Thérapies / dimanche, avril 21st, 2019
 C’est un terme qu’on entend de plus en plus dans le monde de l’éducation canine, mais les définitions varient selon les éducateurs ou l’interprétation de chacun. En règle générale, on considère qu’un chien est régulateur (ou médiateur) quand il est capable de stopper les conflits entre deux autres chiens et de réduire l’agressivité de ses congénères.
 

 C’est la “méthode” à la mode pour ce qui est de la réhabilitation de chiens agressifs, et pour être honnête, il semble y avoir autant d’applications que de chiens dits “régulateurs”. Il suffit de faire une recherche sur YouTube pour comprendre l’ampleur de cette mode.

L’origine de cette méthode

 Beaucoup d’éducateurs, en France ou ailleurs, se considèrent comme les inventeurs de cette “méthode”. En fait, les éducateurs canins travaillent avec des chiens régulateurs depuis très longtemps. Mais celle qui a popularisé cette méthode est Jean Donaldson, une éducatrice très reconnue aux États-Unis. Si vous êtes éducateur et comprenez l’Anglais, courez vous procurer son livre “Fight! A practical guide to the treatment of dog-dog aggression”.*
 

 Jean Donaldson fait de la “remedial socialization” et parle de chiens “bombproof/bulletproof”. Elle explique qu’ils doivent être extrêmement résilients et pouvoir communiquer parfaitement. Ils doivent aussi être de la même taille que le chien problématique, être peu émotifs, avoir essuyé des bagarres et avoir acquis une bonne capacité d’inhibition de la morsure. Ce sont des chiens qui ont rencontré une multitude de congénères avec des caractères et des comportements différents (comme le dit Jean: “les bombproof sont des habitués des parcs à chiens”). Le but est que ces chiens éduquent des chiens trop harceleurs, peureux ou mal-codés. Vous l’aurez noté, on parle de problèmes liés à la sociabilité. Jean Donaldson fait référence à des “Tarzans”, parce que ces chiens ont généralement manqué de contacts avec leurs congénères; ils ne savent pas jouer, ils ne savent pas communiquer, ils sont agressifs par frustration ou parce qu’un chien intolérant a tenté de les éloigner par l’agression.
 

 Je ne vais pas aller plus en détail car sinon, il faudrait que je traduise le livre. Mais pour résumer, le principe est de lâcher “Bulletproof” avec “Tarzan”, afin que le premier apprenne au second à mieux se comporter, à mieux communiquer et à reprendre confiance.

Une application complexe

 Comme l’indique Jean Donaldson, la “remedial socialization” est très difficile à appliquer et elle est risquée. Les vrais chiens régulateurs sont très rares et on peut se planter royalement en sélectionnant le mauvais chien. De plus, même si un chien à rencontré 100 congénères durant sa première année de vie, il n’a pas forcément envie de faire ce boulot! Il est difficile d’associer ces contacts à des expériences positives. Il se pose donc une question éthique.
 

 De plus, la méthode ne va pas forcément marcher pour tous les chiens agressifs, car l’agressivité peut avoir différentes causes (ex: des douleurs musculo-squelettiques), dont certaines nécessitent des traitements médicamenteux ou un contact social plus progressif (notamment lorsqu’il y a une phobie). Avec une mauvaise application, la situation peut mal tourner.

Attention aux “intimidateurs”

 Méfiez-vous et soyez très sélectif si vous envisagez de travailler avec un éducateur qui a un chien régulateur. Cette “méthode” est très populaire en ce moment. Elle vient souvent avec la promesse que le chien sera « guéri » en une ou deux séances – et avec des tarifs exorbitants. C’est hyper prometteur pour les gens qui sont désespérés par les comportements de leurs chiens.
 

 Les vrais chiens « bombproof » sont rares et malheureusement, dans beaucoup de cas les “régulateurs” sont juste des chiens qui ont appris à utiliser l’intimidation. J’ai pu voir des vidéos de chiens « régulateurs » qui harcèlent et mettent à l’amende des chiens apeurés; ce n’est pas une bonne maîtrise de la méthode! Ils ne font rien d’autre que mettre les chiens « à réguler » en détresse acquise -> une inhibition comportementale, parce qu’il n’y a pas de possibilité de fuir ou de se battre, mais qui n’améliore pas l’état émotionnel du chien. Avec un peu de chance (pour les éducateurs), la détresse acquise dure le temps de la séance et on crie victoire; c’est ce qu’on voit sur pas mal de vidéos. Mais dans certains cas, le chien qui n’en peut plus se montre encore plus agressif qu’avant.
 

➤ Se tourner vers une méthode moins risquée et plus respectueuse du bien-être des chiens

 

 À défaut de travailler avec un chien régulateur qui fait tout le travail, on peut se tourner vers une méthode beaucoup moins risquée: la désensibilisation systématique. Elle implique de maintenir une distance de confort (qui ne génère pas de réaction émotionnelle négative les chiens impliqués), afin de progressivement améliorer la tolérance du chien problématique aux approches et à la présence de ses congénères (notamment grâce au contre-conditionnement). Le chien assistant interagit avec le chien problématique lorsque ce dernier en montre l’envie sans être anxieux.
 

 De nombreux éducateurs utilisent cette méthode en se faisant assister par leur chien. Ce n’est pas un régulateur, ni un “bulletproof”, mais sa simple présence à distance permet de faire le travail de désensibilisation avec le chien problématique. Même si le chien assistant n’a pas choisi ce rôle, il est possible de rendre l’expérience plaisante pour lui. Pour ma chienne Nymphie, ces séances sont synonymes de plaisir, car c’est un « happy hour » de friandises. Il est tout de même là aussi important de travailler avec un chien sociable, qui sait bien communiquer avec ses congénères, qui est tolérant et résilient, et qui sait apaiser les autres chiens.
 

 C’est une approche qui est très efficace si bien maîtrisée. On peut l’appliquer grâce à des techniques comme la B.A.T (Behavior Adjustment Training), qui a été developpée par une éducatrice américaine, Grisha Stewart. Je vous conseille également son livre si vous maitrisez l’Anglais: “Behavior Adjustment Training 2.0”.
 

 ⚠︎ Cela dit, on peut aussi se planter, particulièrement si on va trop vite ou si le chien aidant n’a pas les qualités nécessaires. L’autre problème majeur est la généralisation (également problématique pour la méthode de Jean Donaldson), car habituer un chien à la présence du chien régulateur/aidant, ne veut pas dire qu’il va accepter la présence des autres chiens. Il faut donc appliquer cette méthode avec d’autres chiens équilibrés, et autant que possible.
 

*Dans son livre, Jean Donaldson explique les différentes causes de l’agression et propose d’autres solutions que celle citée plus haut. Elle parle elle aussi de désensibilisation systématique et en explique bien le mécanisme.