ZOUBI, LE CHIEN DES RUES (dernière partie)


Chiens des rues / vendredi, mai 14th, 2021

Je me rappelle que parfois, Zoubi nous accompagnait, mes chiennes et moi, quand nous allions nous promener dans la montagne. Il semblait faire partie de notre petit clan ; il se baladait avec nous, généralement devant, en jetant fréquemment un regard en arrière pour s’assurer que nous le suivions bien. Dans ces moments-là, il me faisait penser à un chien de famille. Il profitait de nos escapades pour explorer tranquillement et semblait si content.

Zoubi et mina, ma chienne

Cependant, dès que nous étions de retour dans le village, son comportement changeait. Il marchait d’un pas moins assuré, avec plus de vigilance.Pour moi, Zoubi était un chanceux. Sa vie n’était pas toujours facile, mais il n’était pas exposé à beaucoup de dangers. Ce n’était pas le cas de tous les chiens des rues d’Aetos.

La dure vie des femelles

Je trouvais la vie des femelles particulièrement difficile. Elles donnaient naissance toute l’année, par des températures aussi étouffantes en été que glaciales en hiver. Élever leurs chiots leur demandait beaucoup d’efforts. Elles devaient commencer par trouver un lieu sûr pour mettre bas. Les chiots naissent aveugles et sourds, ils sont donc très vulnérables et dépendants de leur mère dans les premières semaines de vie. Ils doivent être mis à l’abri des prédateurs, humains comme animaux.

Je n’ai pas observé d’entraide (soins alloparentaux), bien que ce phénomène a été relaté dans une publication scientifique. Les mères que j’ai observées étaient seules à élever et protéger leurs petits. Elles devaient régulièrement les laisser pour aller se nourrir. C’est comme ça que j’ai pu en suivre quelques-unes pour connaître leurs cachettes. On les repère facilement, avec leurs mamelles lourdes, qui semblent prêtes à exploser. Lorsque je repérais un « terrier », bien souvent une maison abandonnée ou un trou sous une maison, je déposais de la pâtée et de l’eau tous les jours.

Je me souviens particulièrement bien de deux d’entre-elles… L’une avait un corps de chien moyen avec de très courtes pattes, comme on en voit souvent dans les pays de l’Est. Elle avait donné naissance dans une ruine sous une grande planche recouverte d’un tas de gravats provenant du toit qui s’était écroulé. C’était au début de l’hiver, il faisait déjà très froid et elle maigrissait à vue d’œil. Lorsque je suis allée lui porter de la nourriture la première fois, elle a réagi très agressivement – jusqu’à ce qu’elle se rende compte que j’avais de la pâtée chaude avec moi. J’ai à peine eu le temps de la poser par terre avant qu’elle se jette dessus. Elle n’a plus jamais exprimé d’agressivité en ma présence, même s’il était impossible de l’approcher.

Au bout d’un moment, elle m’accueillait joyeusement, avec une danse du popotin. Elle m’attendait devant la ruine et courait se placer à l’endroit où je déposais la gamelle.Au bout de quelques jours, elle m’a laissé toucher ses petits. Elle restait allongée à quelques mètres, pendant que je changeais les couvertures que j’avais placées pour eux.

Malheureusement, ses chiots ont commencé à mourir l’un après l’autre à partir du 20e jour. À l’époque, je ne savais pas ce qui leur arrivait. Ils tremblaient, ne bougeaient plus, vomissaient et avaient une diarrhée sanguinolente ; très certainement la parvo. Pas un seul chiot n’a survécu. J’aurais bien aimé savoir ce qu’elle ressentait, si la perte de ses chiots la rendait triste. Étonnamment, elle a très vite repris ses habitudes avec son groupe près du minimarket, comme si de rien n’était.

Les conflits des chiennes

Une autre chienne que j’ai suivie, zonait tout près de ma maison. Je la voyais toujours avec un chien beaucoup plus petit qu’elle. Elle était très belle, très gracieuse et son petit ‘patapouf’ au poil dur la suivait partout. Elle semblait aimer ma présence et vouloir intéragir ; parfois, se reposait près de moi quand je m’asseyais sur le trottoir. Cependant, elle n’osait jamais m’approcher à moins d’un mètre. Son compagnon, lui, avait très peur de moi et restait toujours très en retrait.

Un jour, elle a donné naissance à deux chiots dans une maison abandonnée. Malheureusement, ces derniers ont très vite disparu. Quelques jours après leur disparition, j’ai retrouvé la chienne en sang sous le porche de l’église. Elle était vivante, mais très blessée. Elle semblait avoir été attaquée par plusieurs chiens. Je ne pouvais pas soigner ses plaies, mais je lui ai donné des antibiotiques pour éviter une infection. Elle a survécu, avec des cicatrices et une petite boiterie.

Les chiennes allaient parfois chercher de la nourriture dans d’autres zones, ou elles mettaient bas dans une zone qui n’était pas la leur. Cela causait parfois des conflits, alors, je pense que c’était très certainement ce qui était arrivé à la jolie chienne.

Zoubi et la liberté

Zoubi, lui, a vécu plusieurs années après mon départ. Il a eu une belle vie. Les cotoyer pendant deux ans, lui et ses semblables, a changé mon regard sur les chiens. Lorsque je suis arrivée en Grèce, j’étais choquée et très attristée en voyant tous ces chiens « errants ». C’est certainement ce que vous ressentez en lisant ces lignes et en imaginant ce que je décris. Et c’est normal, quand on a pour modèle les chiens ‘de compagnie’, qui font partie intégrante de nos familles.

C’est un autre monde…

Il est vrai que la vie est rude pour les chiens des rues. Beaucoup d’entre-eux, surtout les plus jeunes, pourraient être placés en famille. Pour d’autres, innaprochables, libres et ancrés dans leurs habitudes, la vie ne peut pas être autrement. Et une question qu’on peut se poser: souhaitent-ils qu’elle soit différente?

À travers toutes ces expériences difficiles avec les chiens des rues, j’ai trouvé du réconfort avec des chiens comme Zoubi. J’ai souvent imaginé le ramener en France, pour lui faire connaître une vie de famille sécurisée. Néanmoins, je ne pense pas qu’il aurait supporté; l’impossibilité de faire des choix aurait été particulièrement difficile pour lui. Malgré le confort, moins de conflits avec d’autres chiens et la sécurité, Zoubi ne pouvait pas être restreint comme un chien de famille. Quand il décidait quelque chose, on ne pouvait pas l’arrêter. Quand il décidait de partir de chez nous, il trouvait un moyen de le faire.

Bien évidemment, beaucoup de chiens des rues s’adaptent à la vie en famille, la preuve en est avec les nombreux succès d’adoption de chiens de Roumanie en France. Pour d’autres, c’est plus difficile et on peut questionner leur capacité d’adaptation à un environnement et un mode de vie qui sont totalement différents de ceux qu’ils ont connu. C’est très difficile et dans certains cas, le stress causé est très important.

Ce que j’ai appris de ces observations, c’est que le chien domestique est une espèce biologiquement très diverse. Les chiens « de famille » ne sont qu’une petite partie des chiens dans le monde (10-15%). Il y a un très grand nombre de chiens qui ont une vie totalement différente – et c’est ainsi qu’ils ont vécu depuis des millénaires.

Comme Zoubi, ils sont nombreux à chercher la compagnie de l’humain, cependant, il savent poser des limites à ce qu’on peut faire. Quand on les dépasse, quand on ne respecte pas leurs besoins, la confiance est totalement rompue. Je vous avoue que j’ai parfois poussé ces limites en voulant secourir/soigner certains chiens que j’avais un peu apprivoisé; il m’a été extrêmement difficile de gagner à nouveau leur confiance. Même notre bienveillance a des limites pour eux. Ce fut pour moi une bonne leçon de prise.

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