QUAND LES CHIENS FONT LES « INTÉRESSANTS »


Actualités scientifiques, réflexions, idées, Relation homme-animal / vendredi, mai 14th, 2021
 
Dans mon enfance, il y avait une phrase, parfois prononcée par les adultes, qui me mettait très mal à l’aise : « arrête de faire l’intéressante ». Je n’avais pas l’impression de « faire l’intéressante »; je crois que dans ces moments-là, j’étais surtout guidée par une forme d’euphorie liée à un contexte inhabituel incluant généralement des invités.
 
Il y a quelque temps, j’ai observé mes chiens jouer devant des visiteurs. Ces derniers les regardaient attentivement, tout en rigolant devant leurs cabrioles et en commentant leurs interactions. Mes chiens ne jouent pas de la même manière quand ils sont seuls ou quand aucune attention ne leur est portée (je les observe parfois du coin de l’œil…). Je me suis surprise à me dire « ils font les intéressants » – je l’avoue. En y voyant une sorte de parallèle (je me trompe peut-être), je trouve fascinant qu’il puisse exister un phénomène similaire chez les animaux, qui plus est, entre animaux et humains.

L’effet d’audience chez le chien

Il y a quelques années, une étude (1) montrait que les chiens sont sensibles à l’attention qu’un congénère porte à leurs comportements. Ils agissent en fonction de l’attention portée et intensifient leurs comportements communicatifs s’ils constatent que l’autre ne les observe pas ou qu’il est distrait. Par exemple, les signaux pour initier le jeu (révérence) sont quasiment uniquement exprimés quand le receveur fait face à celui qui cherche à communiquer. Des demandes d’interaction plus intenses (ex: aboiement) sont envoyées quand le receveur est inattentif.
 
Ça ne parait peut-être pas extraordinaire, cependant, manipuler l’attention d’un congénère pour qu’il réponde à une demande est une performance socio-cognitive dont le niveau est relativement élevé dans le monde animal.
 
Pour compléter ces découvertes, une récente étude expérimentale (2) a montrée que la présence d’un observateur humain, intensifie les parties de jeu entre chiens. Dix paires de chiens vivant dans le même foyer et ayant l’habitude de jouer ensemble au moins une fois par jour, ont été observés en train de jouer dans leur lieu de vie, sous différentes conditions : pas de présence (A), présence d’un gardien qui n’observe pas les chiens (😎, présence d’un gardien qui observe les chiens et exprime son intérêt pour leur performance (C).
 
La durée des interactions de jeu (appels au jeu et parties de jeu) était plus longue dans les conditions C (quand ils étaient observés), en comparaison aux conditions A et B. Les chiens de l’étude ne jouaient quasiment pas lorsqu’ils étaient seuls dans la pièce.

Facilitation sociale dans les relations interspécifiques

La facilitation sociale est un phénomène qui existe chez de nombreuses espèces animales sociales ; la présence d’autrui (observateur ou co-acteur) améliore la performance d’un individu. La motivation est au cœur de ce phénomène, avec différentes causes et fonctions possibles.
 
Ce qui est particulièrement intéressant dans la dernière étude, c’est qu’elle montre que l’effet d’audience, existe aussi dans les relations interspécifiques.
 
Plusieurs hypothèses sont avancées par les auteurs de la publication, pour expliquer pourquoi les chiens agissent différemment quand un humain les observe :

➡️ L’effet positif que peuvent avoir l’attention et les réactions exprimées par l’humain sur les chiens, est renforcé par des associations faites entre la présence de l’humain et l’accès à des ressources et expériences très plaisantes. S’ajoute à cela l’effet de l’ocytocine, l’hormone de l’amour, dont les taux peuvent augmenter via la présence de l’humain ; donnant aux chiens plus envie de jouer et prendre du plaisir.
 
➡️ On peut également prendre en compte la longue association entre le chien domestique et l’humain (au moins 14.000 ans). Cela a certainement contribué à développer son excellente interprétation des comportements humains, ainsi que la production de signaux communicatifs/comportements plaisants pour ces derniers. Le plaisir de faire plaisir?
 
➡️ D’un point de vue éthologique, on peut considérer que la proximité de l’humain rassure les chiens, car elle leur donne des informations sur les risques présents (ou non) dans l’environnement. Le fait qu’ils jouent très peu lorsqu’ils sont seuls, montre qu’ils sont attentifs et s’adaptent aux informations qu’ils perçoivent dans l’environnement.
 
➡️ La présence de l’humain permet de réguler les interactions et particulièrement, pour les parties de jeu, qui peuvent parfois basculer vers le conflit. L’humain agit comme médiateur, sécurisant les interactions et permettant de maintenir la cohésion sociale.
 
 
Bien que l’échantillon est tout petit, cette étude tend à confirmer le lien très fort que le chien a développé avec l’humain au cours de sa domestication. Ces découvertes nous laissent encore avec beaucoup de questions à étudier, mais nous permettent de comprendre un peu mieux la complexité des relations qu’ont tissées nos deux espèces.
(1) Attention to attention in domestic dog (Canis familiaris) dyadic play: https://link.springer.com/article/10.1007/s10071-008-0175-y
(2) Owner attention facilitates social play in dog–dog dyads (Canis lupus familiaris): evidence for an interspecific audience effect : https://link.springer.com/article/10.1007/s10071-021-01481-9
 

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