Alors qu’ils sont interdits dans plusieurs pays d’Europe (ex: Allemagne, Danemark, Suède et bientôt le Royaume-Uni) les colliers électriques semblent de plus en plus utilisés par les propriétaires de chiens en France. Cet engouement, ainsi que les arguments que certains utilisent pour justifier leur utilisation font froid dans le dos.
Comment fonctionnent les colliers électriques ?
Lorsque les conséquences d’un comportement sont déplaisantes, ce dernier diminue en fréquence. C’est ce qu’on appelle la punition positive; on ajoute quelque chose de déplaisant pour réduire la fréquence du comportement. L’apprentissage associé à la décharge électrique est assez facile à comprendre: si je reçois une forte décharge électrique en touchant un objet, il est très probable que je n’y retouche pas. Si je le touche à nouveau, la deuxième décharge devrait me convaincre de ne plus le faire. Le comportement ‘toucher l’objet’ ne sera plus exprimé. Les animaux forment les mêmes apprentissages associatifs. Le chien qui dépasse la clotûre électrique plusieurs fois, apprendra qu’elle génère des chocs électriques douloureux. Il ne s’en approchera plus.
Initialement, ces colliers étaient utilisés dans un cadre contrôlé afin d’éliminer les comportements d’attaque liés à la prédation. Le chien s’approchait de l’animal et au moment où il allait le mordre, il recevait une décharge électrique. La conséquence étant très déplaisante, 2-3 décharges étaient généralement suffisantes pour que l’animal cesse d’attaquer les animaux – pendant un certain temps. Si cela pouvait être efficace pour stopper ces attaques, l’éthique de cette pratique reste discutable.
Depuis quelques années, ces outils sont mis entre les mains de gens qui s’en servent pour tout et n’importe quoi. Notamment, pour travailler le rappel. Le gardien appelle son chien, le chien ne revient pas = il appuie sur le bouton pour envoyer un coup de jus.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le chien va associer ce coup de jus avec ce qu’il s’est passé à ce moment-là. L’effet punitif ciblera le comportement qui s’est produit au moment du choc. Que va comprendre un chien qui s’éloigne de son maître et reçoit un coup de jus? Qu’il ne faut pas courir? Qu’il ne faut pas aller à cet endroit? Qu’il ne faut pas mettre la truffe au sol?
Que fait le chien exactement au moment où il se prend un coup de jus? Était-il en train de sentir une odeur, de jouer avec un copain, de regarder un enfant passer… Le coup de jus risque très fortement d’être associé à autre chose que le simple fait de ne pas être revenu, ce qui n’est pas vraiment un comportement (le comportement c’est courir, regarder, sentir, marcher ou jouer…). C’est vraiment très risqué.
Une histoire …
C’est une histoire qui a été racontée par un vétérinaire lors d’une conférence. La scène s’est déroulée dans un quartier résidentiel des Etats-Unis. Tous les après-midi, les enfants de l’école du quartier passaient devant la maison d’un chien, qui à chaque fois, trouvait un moyen de sortir du jardin pour aller leur dire bonjour. Il suivait les enfants, qui lui donnaient des gateaux et jouaient avec lui, puis il errait dans les rues du quartier. Comme cela causait un risque, pour lui et pour la circulation, les gardiens ont décidé d’installer une cloture électrique. Le principe de fonctionnement est que le chien reçoit un coup de jus via un collier quand il dépasse la zone déterminée par ses gardiens. Le chien comprend que lorsqu’il s’approche de certaines zones, il reçoit un choc électrique. En conséquence, il apprend à ne pas s’approcher de ces zones.
Après plusieurs tentatives, le chien avait compris que lorsque les enfants passaient, il ne pouvait plus y aller. Un jour, les enfants qui ne comprenaient pas pourquoi le chien ne venait plus les voir, sont entrés dans le jardin pour lui dire bonjour. Au moment de la décharge, le chien a mordu l’un d’entre eux.
➤ 5 cas très similaires sont décrits dans un article de Richard Polsky. Chacun des 5 chiens portaient un collier éléctrique lorsqu’ils ont mordu et certains ont reçu un choc juste avant la morsure.
Un parallèle avec Milgram
Il est évident que le geste n’est pas anodin; on envoie une décharge électrique à un animal, parce qu’il ne répond pas à nos demandes ou pour lui apprendre à ne pas faire quelque chose. Si cette violence vous échappe, imaginez juste une seconde qu’une personne vous donne des coups de jus dès que vous faites quelque chose qui ne lui plaît pas…
Ce qui pose problème c’est que l’utilisation de ces outils est totalement banalisée par certains professionnels. Des ‘éducateurs’ s’en servent et les conseillent à leurs clients. Ils expliquent même très souvent que ça ne fait pas mal (quelle serait l’utilité alors?). Des magasins de produits pour animaux les vendent. Et ce qui est encore plus scandaleux, c’est qu’il y a même des vétérinaires qui les conseillent à leurs clients. Cela suggère que c’est un outil dont l’utilisation ne présente aucun risque. Comme des autorités censées être compétentes les recommandent, il est alors facile de se détacher de sa morale pour suivre leurs recommendations.
Le parallèle avec l’expérience de Milgram est intéressant. Dans les années 60, Stanley Milgram cherchait à évaluer le degré d’obéissance face à une autorité jugée légitime – et particulièrement si l’ordre est contraire à la morale. Des personnes qui n’étaient pas informée du sujet de cette étude, devaient envoyer des chocs électriques à d’autres participants pour chaque erreur commise sur l’exercice donné. Lorsque les participants hésitaient à envoyer la décharge, une personne en blouse blanche les encourageait à le faire. Si un acte/choix est validé par une autorité jugée “légitime”, beaucoup de gens suivront ces recommandations, même si c’est contraire à leur morale. Il y a aura même un sentiment d’obligation; une pression sera exercée sur leur prise de décision.
Cette expérience a été reconduite plus récemment par des chercheurs Polonais. 72 des 80 participants ont accepté de donner une décharge de 450v qui avait pour indication: “attention, choc dangereux”. Personne n’a réellement été électrocuté pendant ces expériences, mais ce n’est pas ce que pensaient les participants qui envoyaient les décharges.
Oui, le chien ressent de la douleur !
Parmi les arguments avancés par certains, on entend souvent que les colliers électriques qui sont « bien utilisés » ne causent pas de douleur. Certains indiquent que “c’est juste un petit picotement”. Et quand ils sont essayés sur un humain qui atteste qu’ils sont très douloureux, on répond que les chiens ne ressentent pas la douleur de la même manière. Pourtant, l’épiderme est plus fin chez le chien; épais de 3-5 cellules contre 10-15 chez l’humain. Le poil est généralement plus humide et donc, vecteur d’électricité. La douleur est donc très certainement perçue différemment, si ce n’est plus intensément.
Quoi qu’il en soit, remettons les choses en perspective : si ces outils ne causent pas de douleur, qu’est ce qui stopperait un chien de faire ce qu’on souhaite l’empêcher de faire ? La douleur est l’effet punitif (réduire la fréquence d’un comportement) de ces colliers; ces derniers doivent être suffisamment douloureux pour que la motivation d’éviter de revivre cette expérience l’emporte sur la motivation d’exprimer le comportement en question. Même si l’impulsion est très rapide, la douleur est bien présente.
Leur utilisation peut sérieusement impacter le bien-être du chien et le lien avec son gardien
Si l’idée d’infliger une douleur intense à son chien n’est pas suffisante pour convaincre les gens de ne pas l’utiliser, regardons ce qu’indiquent les études scientifiques et les associations de vétérinaires qui évaluent l’impact des colliers électriques sur le bien-être du chien et sur ses relations sociales.
L’ESCVE, European Society for Clinical Veterinary Ethology, a récemment publié une synthèse de plusieurs études – leur conclusion indique que :
- La douleur peut causer de la peur, de l’anxiété, des phobies, des comportements de fuite, de l’agressivité ou une apathie.
- Le choc électrique augmente les paramètres physiologiques liés au stress (cortisol, rythme cardiaque…).
- Le stress provoqué par les chocs et leur caractère imprévisible peut générer des troubles du comportement et augmenter la fréquence des aboiements.
- Les méthodes punitives créent du stress, de l’anxiété et de la peur, qui augmentent les risques d’agression (attaques, morsures graves).
- Les chiens éduqués au collier électrique peuvent associer les chocs avec la présence de leur gardien, ce qui peut sévèrement impacter leur lien.
- Les réponses émotionnelles qu’engendre la douleur peuvent freiner l’apprentissage.
Une autre étude de 2004 (voir Schilder & Van der Borg) montre que sur 32 chiens qui ont reçu une moyenne de 107 décharges, les comportements immédiats (juste après la décharge) les plus courants étaient:
– posture basse (signe de stress, peur ou soumission)
– cris de douleur
– signaux d’apaisement
– queue plaquée sur le ventre
– couinements
– évitement de la zone du cou qui reçoit la décharge en tournant la tête
– tentative d’éloignement, comme pour fuir
– aboiements de douleur
Utiliser ce type d’outils pour économiser du temps et de l’argent en préférant cet objet à une modification comportementale plus éthique, risque fortement d’aggraver la situation. On en payera tôt ou tard les frais. Pourquoi les utiliser alors qu’on peut guider le chien avec des méthodes agréables, motivantes et sans douleur ?
RÉFÉRENCES:
Masson et al. (2018) Electronic training devices: discussion on the pros and cons of their use in dogs as a basis for the position statement of the European Society of Veterinary Clinical Ethology (ESVCE).
Polsky (2000) Can aggression in dogs be elicited through the use of electronic pet containment systems ?
Schilder & Van Der Borg (2004) Training dogs with the help of the shock collar: short and long-term behavioural effects.