L’ORGANISATION SOCIALE DU CHIEN


Actualités scientifiques, réflexions, idées, Chiens des rues, Éthologie canine / mercredi, septembre 1st, 2021

Meute, hiérarchie et compagnie…

Voilà un sujet qui divise. Au point qu’il en devient difficile de s’y retrouver, pour les spécialistes comme les non-spécialistes. Nous avons affirmé pendant longtemps que l’organisation sociale du chien est caractérisée par une hiérarchie linéaire ; pour comprendre ce système, imaginez l’organisation d’une entreprise, avec un chef, un sous-chef, les subordonnés, etc. Ce modèle était initialement tiré d’observations de loups en captivité, dont les groupes étaient formés par l’homme.
 
Au-delà de la généralisation inappropriée de découvertes faites sur une espèce cousine non-domestique, le modèle tiré de ces observations posait problème, car il ne reflétait pas les conditions de vie de la majorité des membres de cette espèce. La raison est que ces groupes étaient artificiels (créés par l’homme) et l’environnement très restrictif de la captivité causait beaucoup de conflits qu’on interprétait comme des rapports hiérarchiques.
 
On sait aujourd’hui que ce modèle est non-applicable au chien domestique. Cependant, il est difficile de déterminer comment fonctionne son système social. En fait, c’est un sujet pour lequel il sera certainement impossible d’avoir une réponse tranchée. Voici pourquoi :
 
 

La grande diversité biologique du chien

 
Le flou autour de cette question vient en grande partie du fait que le chien domestique est une espèce biologiquement très diverse. La sélection artificielle a généré une grande variété de races, aux caractéristiques morphologiques et comportementales pouvant être diamétralement opposées. Son intégration à la société humaine, qu’elle soit volontaire ou non, a contribué aux changements génétiques et phénotypiques nécessaires à l’adaptation dans ce milieu (et à la domestication). Les chiens ont dû s’adapter à une variété d’environnements anthropiques, qui reflètent aussi la diversité des cultures humaines et leur rapport à l’animal. En conséquence, ils montrent une forte plasticité comportementale.
 
Cette grande diversité impose une catégorisation des chiens en fonction de leur mode de vie et leur relation avec l’humain. La grande majorité des canidés domestiques sont des chiens des rues et des chiens féraux – plus de 80% de la population mondiale. Leur degré d’indépendance vis à vis de l’homme est plus élevé que celui des chiens de compagnie. Ils sont donc intéressants à étudier puisque leur mode de vie leur permet une plus grande liberté de choix. En conséquence, leurs comportements naturels sont plus susceptibles d’être exprimés. Attention, ces catégories ne sont pas fixes. Par exemple, les chiens des rues sont très souvent associés à un foyer humain, même s’ils sont libres de leurs mouvements. Il y a des chiens qui répondent aux critères de deux catégories.
 
Ne pas prendre en compte ces facteurs peut poser problème. Comme ce fut le cas pour les loups à l’époque des premières études sur l’organisation sociale de l’espèce. Les comportements des loups en captivité étaient influencés par les contraintes sociales et environnementales imposées par l’homme. Il est donc important de faire cette distinction, et surtout, gardons en tête que les influences environnementales et sociales pour un chien de compagnie, ne sont généralement pas les mêmes que pour un chien des rues ou d’un chien féral. Elles peuvent également grandement varier au sein d’une même catégorie.

 

Les variations dans les groupes

 
Les études menées sur une ‘catégorie’ de chiens, comme les chiens des rues, ont généré des résultats contrastés. Premièrement, il est important de mentionner que la méthodologie explique en partie ces différences ; notamment, parce que certaines études ont observé les chiens sur une courte période, ce qui ne permet pas de déterminer si un groupe est stable ou non.
 
Cependant, ce qui est intéressant c’est que les variations dans le comportement social reflètent celles de l’environnement anthropique ; par exemple, l’abondance de la nourriture provisionnée par l’homme et le degré de socialisation à ce dernier, influencent la taille des groupes et leur pérennité.
 
Les chiens moins socialisés à l’homme et ceux qui ont accès à une source de nourriture plus abondante, sont plus susceptibles de former des groupes stables, dont les caractéristiques comportementales s’approchent de celles d’une meute de loups. Mais là encore, il faudrait que les éthologues s’accordent sur la définition et les caractéristiques d’une meute, ce qui génère encore pas mal de débats. En revanche, les chiens des rues qui sont associés à un foyer humain et/ou qui interagissent régulièrement avec l’humain, ainsi que ceux qui se nourrissent via des sources de nourriture plus réduites (ne pouvant nourrir plusieurs individus) sont plus susceptibles d’être ‘solitaires’.
Les hypothèses avancées pour expliquer ces différences sont :
– Le plus un animal est ‘restreint’ par l’homme, le moins il a d’opportunités pour coordonner ses actions avec ses congénères et donc, la formation de groupes stables est limitée. La question est de savoir si c’est applicable aux chiens de compagnie?

– Selon le degré de socialisation à l’homme et surtout, le moment (période critique), les chiens peuvent être moins motivés pour développer des relations pérennes avec leurs congénères. L’humain est un ‘partenaire primordial’.

– Les chiens des rues qui sont associés à un foyer humain, ne partagent généralement pas leur ‘territoire’ avec d’autres chiens et ils ont des compétences sociales/de communication limitées. Une étude a d’ailleurs noté que les chiens de compagnie abandonnés avaient plus de difficultés dans les interactions avec leurs congénères, en comparaison à des chiens des rues dont l’expérience avec l’humain était plus limitée.


En conclusion

Les chiens des rues ont le choix de s’associer ou non à d’autres individus. Il est donc plus facile d’étudier leur comportement social, en comparaison aux chiens de compagnie, qui vivent dans des groupes choisis par l’homme et qui ont une gestion de l’espace plus limitée. Cependant, il faut faire attention aux transferts de connaissances d’un groupe à l’autre, comme nous avons pu le faire avec le loup. Nous avons tendance à généraliser, sans prendre en compte les nuances. C’est un sujet complexe qui révèle de nombreuses hypothèses qui n’ont pas encore été étudiées. En tout cas, je trouve que ces études mettent en lumière ce qui caractérise bien le chien domestique: adaptabilité et diversité.
 
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REFERENCES
C’est un sujet vaste que j’ai survolé aujourd’hui. Si vous souhaitez aller plus loin dans ces lectures, voici quelques références (en anglais) :
– Miklosi: Dog behaviour, evolution, and cognition (livre)

Articles sur la catégorisation des chiens :
 
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