LES INDIGÈNES ET LES CHIENS DU PANAMA (2/2)


Chiens des rues / samedi, octobre 8th, 2022

L’un des travaux qui m’a le plus passionné à l’université était une dissertation sur le rapport entre certains peuples indigènes et leurs chiens. Notamment, sur certaines communautés indigènes d’Australie et du Canada, qui sont le sujet de nombreuses publications. Je n’ai pas cessé de m’y intéresser depuis et c’était une chance pour moi de pouvoir observer les interactions des indigènes Ngöbe-Buglé et leurs chiens lors de mon voyage au Panama.

Pour référence, les indigènes sont des populations descendant des peuples implantés dans un pays avant sa colonisation. Malgré leurs différences historiques, culturelles et ethniques, ces communautés présentent des similarités. Elles sont généralement une minorité soumise à un modèle de société dominant. Beaucoup d’entre elles entretiennent des rapports profonds avec la nature, ancrés dans une vision hollistique du monde.

Beaucoup de croyances indigènes intègrent le concept d’unité; tout ce qui constitue le monde naturel, ce qui est animé ou non, est interconnecté et interdépendant. Les plantes, les animaux et les humains partagent la même âme. Le bonheur est collectif; le bien-être des uns dépend du bien-être des autres. De ce fait, les animaux sont considérés comme des êtres sentients et des partenaires équitables, qu’on ne peut pas forcer à agir contre leur volonté.

Ces croyances sont encore présentes chez certains peuples indigènes et apparaissent dans leurs rapports avec les chiens. Ils considèrent que les chiens sont maîtres de leur vie et qu’ils doivent vivre libres et autonomes. En conséquence, on rencontre généralement des chiens non-restreints et non-contrôlés dans ces communautés.

Les Ngöbe-Buglé et leurs chiens


Je n’avais jamais côtoyé de peuples indigènes jusqu’à récemment, lors de mon voyage au Panama, dans une région où vit la plus grande communauté indigène du pays: les Ngöbe-Buglé (qui sont en fait deux communautés indigènes distinctes, avec une langue différente). J’ai passé du temps à me renseigner sur leur façon de vivre. Notamment, parce que je voulais mieux comprendre comment ils concevaient leurs relations avec les chiens.

Les Ngöbé-Buglé sont assez reconnaissables; ils vivent surtout en zone rurale et portent des vêtements traditionnels; des robes colorées pour les femmes, des chapeaux et bottes pour les hommes. Ils vivent dans de petites maisons en bois très modestes.

Image: Intercontinetalcry.org


Ce qui m’a le plus surpris et ce qui contrastait avec le reste du pays, c’est que presque tous les indigènes que j’ai croisé étaient accompagnés par des chiens. Ces derniers marchaient à leurs côtés sur les bords de route ou en forêt (ces gens marchent beaucoup!), ils étaient portés dans leurs bras et il y avait toujours des chiens avec les enfants. J’ai aussi observé des démonstrations affectives et des parties de jeu, ce qui, je dois l’admettre, m’a interpellé. J’ai eu l’impression que les chiens faisaient partie intégrante de leur communauté et qu’ils avaient noué des relations fortes avec eux. Cela avait tout d’une vie idéale; des chiens libres, aimés et sur un pied d’égalité avec l’humain. J’ai été très attendrie par ces observations. Puis, j’ai repensé au sujet de ma dissertation; le bien-être des chiens dans les communautés indigènes.

Dans plusieurs études, quand les membres de certaines communautés indigènes étaient interrogés, ils étaient nombreux à indiquer que les chiens influencent positivement leur bien-être. Ils leur apportent un soutien émotionnel, un sentiment de sécurité, de la compagnie et ils sont des compagnons de jeu pour les enfants. En revanche, ils expliquaient aussi ne pas s’inquiéter pour eux et ne pas les soigner quand ils sont malades ou blessés.

C’est ce qu’une personne m’a expliqué lors d’une discussion sur les chiens des Ngöbé-Buglé. Ces derniers considèrent les chiens comme des membres de leur famille et leur donnent même des noms. Néanmoins, ils pensent que les chiens peuvent se nourrir et se soigner seuls, comme tous les autres animaux dans la nature. Cette personne m’expliquait que beaucoup des chiens dans ces communautés sont très maigres, car ils ne sont presque pas nourris. Si le chien ne survit pas, c’est la loi de la nature, on ne le questionne pas et on ne cherche pas à l’éviter non plus. Ce qui explique peut-être pourquoi ces animaux sont ni vaccinés, ni stérilisés, ni soignés.

La stérilisation est généralement considérée comme une idée farfelue; le chien n’aurait donc plus le droit de créer et d’élever sa progéniture? On comprend que la notion de bien-être est très différente de celle que nous avons en général en France – qui d’ailleurs, a grandement évolué ces dernières décennies. Les Ngobe-Bugle, ainsi que d’autres peuples indigènes qui vivent avec des chiens, ne sont pas leurs ‘propriétaires’ ; ils font parti d’un système équitable, dans lequel aucun être n’a de contrôle sur un autre. C’est en cela qu’on respecte le bien-être de l’animal.

Chien maigre près d’une communauté indigène. Photo: Géraldine Merry

Des influences et des changements …


Ceci dit, Il faut quand même souligner que dans certaines communautés, les croyances et pratiques ont changé. À travers les vagues de colonialisation, on a tenté de convertir les peuples indigènes à une autre religion et leur faire oublier leurs croyances et traditions. Ces cultures impérialistes érigeaient (et le font encore) l’homme en être supérieur aux animaux et à la nature, ce qui a déstabilisé le système de valeurs des indigènes. Dans certaines communautés, les animaux domestiques sont tout simplement négligés.

Globalement, la culture dominante influence aujourd’hui fortement celle des minorités indigènes. Parfois, les pratiques se rapprochent de celles que nous connaissont. Cela a peut-être du bon ; certains indigènes ont maintenant une opinion favorable à la stérilisation et à la restriction des chiens dans le but d’améliorer la qualité de vie de toute la communauté. Néanmoins, pour répondre aux problèmes attribués à la surpopulation de chiens et à l’errance, on a une solution simple et peu couteuse; les attacher. De ce que j’ai observé, c’est beaucoup moins fréquent chez les indigènes que chez le reste de la population, mais occasionnellement, on peut voir des chiens attachés près des maisons dans ces communautés.

Chienne dans une communauté Ngöbe-Buglé; Photo: Géraldine Merry

Idéal versus réalité


Tout cela ouvre beaucoup de réfléxions. À première vue, on se laisse aller à idéaliser ces relations; des chiens libres, des humains aimants, qui respectent leurs besoins, et un rapport réciproque. On s’intéresse de plus en plus aux chiens libres et on idéalise souvent leur mode de vie.

Récemment, j’ai lu un article qui mettait en avant les excellentes compétences de communication des chiens des rues; laissant penser qu’ils vivent harmonieusement, avec peu de conflits. S’ils est vrai qu’ils semblent généralement tout mettre en oeuvre pour les éviter, les bagarres ne sont pas rares et les mises à mort non plus – j’en ai malheureusement été témoin. Partout où il y a des chiens des rues, on en voit qui ont des cicatrices, une oreille fendue ou une morsure non soignée; n’allez pas croire que tout est rose.

Cette ‘liberté’ peut être associée à de nombreux autres problèmes ; tant pour les humains (transmission de maladies zoonotiques, nuisances…) que pour les chiens (maladies, faim, froid, accidents…). Ces problèmes sont rarement résolus sans intervention humaine et il y a des freins majeurs. Surtout quand le système de valeurs des humains conduit à l’inaction; on ne soigne pas les animaux blessés ou malades, les maladies se transmettent plus facilement et les chiens ne sont pas bien nourris. Comme dans le cas des indigènes, qui aiment et respectent les chiens en les laissant vivre leur vie.

Géraldine Merry, Comportementaliste

 


RÉFÉRENCES:
Constable et al. (2010) For the love of dog: the human-dog bond in rural and remote Australian indigenous communities. Anthrozoös, 23
Legge et al. (2017) Animals in Indigenous spiritualities: Implications for critical social work. Journal of Indigenous Social Development, 6
Ma et al. (2020) “They Reckon They’re Man’s Best Friend and I Believe That.” Understanding Relationships with Dogs in Australian Aboriginal Communities to Inform Effective Dog Population Management. Animals, 10

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